Après avoir mené le bilan primaire pour mettre en œuvre rapidement des gestes de secours en cas de détresse vitale, l’équipe poursuit avec le bilan secondaire. Pourquoi doit-il être systématique ? Quels éléments nous apporte-t-il ? Dans quels buts ?
Rescue18 poursuit sa série d’articles SUAP dédiés aux bilans et vous propose une approche pratique du bilan secondaire que vous soyez convertis au bilan ABCDE ou attachés à l’approche traditionnelle.
1 – L’objectif du bilan secondaire
Identifier une détresse passée inaperçue au moment du bilan primaire est l’objectif principal du bilan secondaire.
Il s’agit d’approfondir l’ensemble des données de l’examen et de l’interrogatoire de la victime, pour détecter des signes moins évidents révélateurs d’une gravité jusque-là méconnue qui peuvent présager une dégradation de son état ou poser l’indication d’un renfort médicalisé.
Le bilan secondaire est une enquête à conduire minutieusement, selon le contexte.
2 – La conduite du bilan secondaire
L’interrogatoire
L’interrogatoire peut être conduit directement auprès du patient, auprès de ses proches ou des témoins. C’est une étape très importante qu’il ne faut jamais négliger.
Il permet de recueillir :
- la situation de vie du patient, notamment son niveau d’autonomie ;
- les circonstances précises ;
- les Maladies ( ou antécédents)
- les Hospitalisations récentes ;
- les Traitements en cours ;
- les Allergies connues.
Le célèbre MHTA !
Les compte-rendus médicaux sont toujours riches en informations pour le médecin régulateur ainsi que pour les équipes hospitalières qui prendront en charge le patient. Et notamment, le fameux ECG de référence ! Ce travail d’investigation du chef d’agrès est donc fondamental.
La prise de constantes
L’usage désormais courant de moniteurs multiparamétriques permet d’obtenir rapidement les constantes vitales : tension artérielle, saturation pulsée en oxygène (SpO2), fréquence cardiaque. Ces paramètres renseignent immédiatement sur la gravité de l’état de la victime.
Ces appareils de mesure ne doivent pas dispenser l’équipe de la prise manuelle de certains paramètres comme la fréquence ventilatoire ou les pouls distaux, notamment en aval d’une lésion traumatique.
Il faut par ailleurs rester vigilant sur la qualité du signal, notamment pour la SpO2, et toujours confronter les chiffres à l’état réel de la victime.
Enfin, il ne faut pas se fier à l’affichage de la fréquence cardiaque par le seul capteur de la saturation, car si le signal est de mauvaise qualité ou en cas de fréquence cardiaque très élevée, la fréquence affichée a de fortes chances d’être totalement fausse. Une fréquence cardiaque se chiffre manuellement sur 60 secondes ou avec les 4 brins (rouge, noir, vert, jaune).
Les constantes sont à notifier sur la fiche bilan et à prendre régulièrement au cours de l’intervention.
L’examen physique approfondi
En suivant l’adage « je dis ce que je fais, je fais ce que je dis », l’équipe doit conduire un examen physique approfondi. La victime doit accepter cet examen, il faut donc toujours lui expliquer et solliciter son accord. En cas de refus catégorique, il s’agira d’en informer le médecin au moment du bilan et de le notifier sur la fiche d’intervention.
Cet examen s’effectue région par région : observation, palpation, mobilisation à la recherche d’une douleur, d’une déformation, d’une plaie, d’un saignement, d’un hématome, d’un déficit, d’une éruption cutanée, etc…
Dans un contexte traumatique, on parle de « bilan lésionnel« .
ABCDE ou bilan classique : un bilan secondaire pour tous !
Que vous soyez adeptes du Bilan Primaire « traditionnel » (N-R-C) ou convertis au Bilan Primaire « ABCDE », vous devrez conduire un bilan secondaire.
Quelle que soit sa forme, la fiche bilan est une trame qui guide le chef d’agrès, où figurent les éléments clés à remplir ou à évaluer (score de Glasgow, intensité d’une douleur, etc.) avant de prendre contact avec le médecin régulateur.
Place du bilan secondaire dans un contexte de détresse vitale
Lorsqu’une détresse vitale est détectée, le bilan secondaire garde toute sa place. Il sera réalisé après le contact pour demander un renfort ou un avis médical et après la mise en œuvre des gestes de réanimation adaptés. Il est alors conduit de manière plus cadencée mais il reste essentiel pour préciser le contexte, identifier parfois une cause (ex : arrêt cardiaque secondaire à une fausse route). Tous ces éléments sont essentiels à recueillir pour les transmettre au médecin.
3 – Guider la suite de la prise en charge
En apportant une compréhension plus globale des circonstances et de l’état de la victime, le bilan secondaire va aider le médecin à cerner la situation pour proposer une orientation vers la structure de soins la plus adaptée.
C’est le principe de la régulation médicale « à la française » que l’on ne retrouve pas dans tous les pays. Elle impose un bilan secouriste pour que la décision de l’orientation de la victime soit une décision médicale.
Au moment du contact médical, le médecin régulateur ou l’officier santé pourra guider le chef d’agrès dans le recueil des éléments qui lui semblent essentiels (ex : horaire du début des symptômes dans le cadre d’un déficit neurologique, horaire de la prise de médicaments, etc…).
4 – Comment le bilan secondaire peut sauver le patient ?
En détectant une insuffisance respiratoire
Le cas des patients atteints par la COVID est typique car au moment du bilan primaire, ces patients n’étaient pas toujours en grande détresse respiratoire.
C’est la prise de SpO2, parfois bien inférieure à 80%, qui révélait la gravité de leur état.
En détectant une détresse circulatoire
En présence d’un saignement interne, l’organisme met en place des mécanismes de compensation qui permettent de compenser la perte de sang. C’est en premier lieu l’accélération du rythme cardiaque qui sera isolée avec une tension préservée. Le pouls radial sera donc toujours correctement perçu.
Exemple : jeune femme ayant présenté un malaise dans un contexte de douleurs abdominales. Le bilan primaire ne retrouve pas de détresse apparente. Le bilan secondaire met en évidence un retard de règles à l’interrogatoire ainsi qu’un premier signe de détresse circulatoire compensée, une fréquence cardiaque >120/min. Ces informations permettront de poser l’hypothèse diagnostique d’une hémorragie interne sur rupture de grossesse extra-utérine et justifieront l’engagement d’une équipe médicale et l’orientation vers un plateau technique chirurgical adapté.
En détectant une détresse neurologique
L’évaluation neurologique de l’état de conscience se fait en quelques secondes : la victime doit répondre à une question simple et à un ordre simple : le fameux « serrez-moi les mains, ouvrez les yeux ! ».
Au cours du bilan secondaire, le calcul du score de Glasgow (entre 3 et 15) est parfois utilisé pour donner une indication plus précise au médecin sur l’état de vigilance de la victime.
D’autres fonctions neurologiques seront ensuite évaluées comme la parole, l’orientation dans le temps et l’espace, la motricité ou la sensibilité.
L’importance d’un bilan lésionnel précis
Rien de mieux qu’un exemple concret où le chef d’agrès a permis de limiter les séquelles neurologiques d’une victime d’un AVP.
Bilan circonstanciel : AVP 2 roues scooter, une victime casquée, choc contre mobilier urbain, cinétique 20 km/h environ, pas de TC PC rapportés.
Bilan primaire : victime consciente, pas de détresse respiratoire ou circulatoire, pas de traumatisme évident, pas d’hémorragie extériorisée.
L’équipe procède à l’immobilisation générale pour conditionner la victime dans la cellule du VSAV et poursuivre le bilan.
Bilan secondaire : Glasgow 15, constantes respiratoires et circulatoires normales, pas de douleur rapportée à la palpation du rachis, thorax, bassin, membres supérieurs, membres inférieurs. Le chef d’agrès identifie un déficit isolé de la sensibilité distale de deux doigts de la main droite.
Il notifie cet élément au médecin lors du bilan qui décide d’engager une équipe médicale en renfort.
Cet élément est confirmé permet d’éviter au patient l’attente de nombreuses heures dans un service d’urgence classique : il est orienté directement vers un service d’imagerie où une compression médullaire est mise en évidence. Le patient est alors pris en charge en neurochirurgie ce qui permet de lever la compression et donc le déficit.
Glycémie capillaire et troubles neurologiques
La glycémie capillaire est une constante mesurée dans le cadre du bilan secondaire. Elle n’est pas systématique mais concerne tous les patients diabétiques connus et toute situation de troubles neurologiques :
- troubles du comportement ;
- sensations de malaise ;
- déficit neurologique ;
- troubles de la vigilance.
L’hypoglycémie peut être l’unique cause de ces troubles qui seront réversibles dès que la glycémie sera corrigée. La mesure de la glycémie peut donc permettre d’identifier l’origine d’un trouble neurologique et d’indiquer rapidement le traitement adapté :
- resucrage par voie orale par l’équipe sur place – ou –
- resucrage par voie intra-veineuse par une équipe médicale ou paramédicale engagée en renfort
La température : un détail ?
La prise de température est systématique lors du bilan secondaire.
L’hyperthermie oriente vers un problème inflammatoire ou infectieux mais renseigne également sur le niveau de gravité d’une hyperthermie à l’effort.
L’hypothermie, définie par une température < 35°, doit elle aussi retenir toute notre attention. En deçà de 32°C, elle peut entraîner des troubles du rythme graves à la mobilisation pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiaque. Le brancardage devient alors très risqué et justifie l’engagement d’un renfort médical.
5 – Transmission du bilan
Chaque intervention auprès d’une victime justifie la réalisation d’un bilan complet : circonstanciel, primaire et secondaire. Il est transmis à un médecin régulateur afin d’orienter la suite de la prise en charge :
- engagement d’une équipe médicale
- transport non médicalisé
- laisser sur place avec conseil médical ou visite d’un médecin à domicile.
Ce qu’attend un médecin régulateur ou un officier santé lors d’un bilan SUAP
Si aucun contact n’a été réalisé au moment du bilan circonstanciel ou du bilan primaire, il sera essentiel de rappeler ces éléments clés.
Le médecin attend en effet, un rappel circonstanciel rapide, clair et précis avec notamment, par exemple :
- la hauteur en cas de chute ;
- la cinétique (ou vitesse estimée) en cas d’accident ;
- les circonstances de survenue d’une douleur thoracique ou d’un malaise ;
- la notion d’une fin de vie à domicile ;
- etc…
Il s’agit ensuite de rendre compte des éléments objectifs constatés et de leurs répercussions éventuelles sur les fonctions vitales de la victime : neurologique, respiratoire ou circulatoire.
Le médecin ou l’officier santé s’assure que les gestes de premiers secours, s’ils sont nécessaires, ont été réalisés puis il peut guider le chef d’agrès sur des précisions cliniques dont il aurait besoin pour prendre sa décision concernant l’engagement d’une équipe médicale.
Le chef d’agrès saura d’autant mieux renseigner le médecin s’il a réalisé avec sérieux l’interrogatoire et l’ensemble des étapes du bilan secondaire.
Conclusion
Après avoir éliminé une détresse vitale lors du bilan primaire, le rôle du chef d’agrès et de son équipe ne s’arrête pas là. Ils doivent dans tous les cas, poursuivre avec le bilan secondaire. Il va apporter des informations essentielles non évidentes et qu’il faut aller chercher avec un interrogatoire et un examen physique plus poussés. Les équipes doivent mesurer l’importance de ces éléments qui peuvent changer le cours de l’intervention, identifier une détresse méconnue et permettre l’orientation optimale de la victime. Le bilan secondaire peut avoir un impact majeur sur le pronostic de la victime et lui sauver la vie, tout simplement.
Pour aller plus loin…
RETEX / PIO / PEX :