Le liseré rouge des sapeurs-pompiers, une légende urbaine

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1989, j’ai 9 ans et je débute comme JSP. Mon chef de centre me dit : « Sois fier, tu portes la Légion d’honneur ! » 2001, douze ans plus tard, c’est au cours du peloton d’élèves caporaux que je découvrirai la véritable signification de ce fameux liseré rouge. Douze ans c’est long, et pourtant la méprise persiste…

Un peu d’histoire…

Combien de fois ai-je pu l’entendre ! « On porte la Légion d’honneur sur notre pantalon » disent-ils avec fierté. J’éprouve presque toujours du remords à briser cette orgueilleuse candeur en leur révélant la vérité… Fort heureusement, je ne suis pas le seul à tenter d’enrayer cette supercherie.

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En 1722, un arrêté du Conseil d’État permet à Dumouriez du Perrier, alors directeur général des pompes du Roy, d’organiser ses hommes en une compagnie de gardes-pompes. Cet arrêté fixe également un cadre pour le port d’une tenue unique et identifiable par tous, ce qui est une avancée notable en comparaison du simple bonnet porté auparavant. Les deux couleurs dominantes retenues pour l’uniforme des gardes-pompes furent le bleu et le rouge à travers deux influences historiques : les gardes-pompes étaient sous l’autorité des échevins et du prévôt de Paris dont le blason était rouge et bleu, et ce sont également les couleurs officielles de la ville de Paris. Il en est ainsi depuis le XVIIIe siècle.

Pour mieux comprendre l’apparition de ce fameux liseré, il faut se replacer dans le contexte économique et le mode de vie de cette période. Le pompier est bien souvent un artisan qui assure donc un double métier ; il ne gagne pas forcément bien sa vie et le prêt-à-porter n’existe pas encore. À cette époque, rien ne se jette ! On rafistole, on fait attention aux vêtements qui coûtent cher et on transmet aux générations suivantes. Comme le service octroie une tenue neuve environ tous les trois ans puis ensuite de façon plus régulière, c’est ainsi que de nombreux personnels vont couramment porter leur pantalon de service… à la ville !

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En 1825, soit quatorze ans après la création du bataillon par Napoléon, le commandement des pompiers de Paris, alors rattaché à l’arme d’infanterie, s’en rend compte et décide que les pantalons d’uniforme seront désormais pourvus d’un liseré rouge afin de bien les différencier et d’éviter le port des effets en dehors du service. Cette mesure s’inspire, mais sans en reprendre totalement les codes puisque la taille est différente, du principe du passepoil que l’on retrouve sur les pantalons d’autres régiments. Quant à la couleur rouge dite « écarlate » bien qu’identique à celle du passepoil d’infanterie, on la retrouve également sur les armoiries de Paris. Le hasard faisant bien les choses, en 1967, date de rattachement de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris au génie, la couleur du passepoil est là encore identique.

Mais alors pourquoi l’ensemble des sapeurs-pompiers français ont-ils adopté les codes de leurs frères d’armes parisiens ?

En 1875, un premier décret rend obligatoire l’uniforme pour les corps de sapeurs-pompiers dans les villes de plus de 3 000 habitants. Une mesure salutaire, mais l’uniformité n’est pas de mise car ceci est fonction de la volonté du maire et des moyens de sa commune. Il faut attendre 1887 pour que les sapeurs-pompiers communaux obtiennent l’autorisation d’adopter le même uniforme que le Régiment de sapeurs-pompiers de Paris, à la différence que les boutons et galons seront argentés au lieu de dorés… Le fameux liseré rouge faisait son apparition partout en France.

Quel rapport avec la Légion d’honneur, le liseré et les sapeurs-pompiers, me direz-vous ?

Aucun ! Comme expliqué plus haut, le liseré date de 1825 et rares sont les corps de sapeurs-pompiers civils décorés de la plus haute distinction française. On peut citer par exemple les corps communaux de Reims, Lyon, Strasbourg, Mulhouse, Rouen et du Havre qui se sont notamment distingués durant les deux grandes guerres. Si on devait suivre une telle idée, la majeure partie des soldats du feu ne devraient donc pas porter cet atour. 

Enfin l’argument le plus cohérent reste la date à laquelle « la rouge » fut conférée au Régiment de sapeurs-pompiers de Paris. En effet, c’est en 1902 que le drapeau du Régiment fut décoré par le président Émile Loubet, soit 77 ans après l’ordre d’ajout du liseré. Il s’agit donc bien là d’une mesure de commandement et non d’un port honorifique. CQFD!

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Crédits photos et documentaire : Le Jargon du Pompier (Alain Bailloux et Drakkar)

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