Echelle à crochets : chroniques d’un agrès symbole

échelles à crochets VISG 2

En 1803, lorsque l’échelle à crochets est proposée au sein des gardes-pompes de la ville de Paris par un certain Tréchard, mécanicien et inventeur, le projet est vite délaissé. Trop lourd et peu maniable. D’autant plus que le sport ne fait pas partie des prérogatives de l’époque.

Lourde, peu maniable, des soldats du feu qui ne font pas de sport ! Comment pouvons-nous s’imaginer de telles choses ! Lorsque l’on regarde le sauvetage héroïque du Caporal Thibault, les sauvetages de la rue de Provence ou plus récemment ceux de la rue Erlanger. Qui n’a jamais vu une garde incendie courant dans les rues du secteur qu’elle défend ? Ou encore entre-apercevoir au travers des portes de remises vitrées les montées de cordes interminables ! Que s’est-il passé pour que cet abandon de projet soit devenu quelques années plus tard l’agrès de référence du sapeur-pompier ?

Voyons comment ces histoires étroitement liées ont permis de forger la réputation et la carrure des anges gardiens des citoyens.

« Il est important de connaître le passé, pour comprendre le présent et mieux préparer l’avenir »


Des origines lointaines

Tout d’abord, il faut savoir que l’échelle à crochets n’était absolument pas prédestinée aux sauvetages.

Elle a vu le jour au moyen-âge et n’a pas survécu longtemps. Le premier modèle était manuel. L’association d’une échelle de corde et de deux crochets élevés au moyen d’une perche permettait l’assaut des forteresses de manière discrète  contrairement aux beffrois (tour de siège). Les griffes convenablement ancrées, les assaillants ne risquaient plus de voir leur échelle renvoyée de volée par les défenseurs comme ce fût souvent le cas avec les échelles droites.

Cet outil a même connu des évolutions mécaniques comme le montre la photo ci-contre. Cependant, la modernisation des moyens lourds d’artillerie permettant des attaques à distance vont faire tomber dans l’oubli ce qui deviendra le moyen de sauvetage le plus idolâtré des sapeurs-pompiers.

Un nouvel emploi

Au début du XIXème siècle, les gardes pompiers sont les seuls protecteurs contre l’incendie, mais le sport ne fait pas partie de leurs attributions.

Le projet de 1803 concernant un outil permettant d’accéder à chaque niveau d’un bâtiment avec une seule limite, la capacité physique de l’utilisateur, ne verra pas le jour. Son poids et sa maniabilité ne sont pas compatibles avec la condition physique des gardes de l’époque.

Parallèlement, en 1818 alors que le Bataillon de sapeurs-pompiers de Paris a vu le jour depuis sept ans, le chef de corps de cette période, le lieutenant-colonel de Plazanet, missionne un réfugié militaire espagnol, le colonel Francisco Amoros. Ce dernier est depuis peu naturalisé français. Il a gagné sa renommée par la création d’un corps de grenadiers-gymnastes au sein des forces espagnoles.

La mission du colonel Amoros consiste à former six instructeurs de gymnastique au sein du bataillon. Durant six années, les soldats du feu de la capitale se forgent un nouveau crédo et sculptent une nouvelle carrure avec une philosophie bien connue de l’un de ses successeurs, Georges Hebert « Être fort pour être utile ».

Dès lors, en 1824 l’échelle à crochets fait son retour. Elle est de nouveau proposée par un mécanicien du nom de Daujon et sera améliorée par les officiers du Bataillon. Faite de bois et d’acier, pesant environ 20kg, elle n’a pas vraiment évolué en une vingtaine d’année durant. Néanmoins, la nouvelle corpulence des pompiers va faire qu’elle est adoptée. A cette époque, l’ensemble des pompes sont réparties dans la capitale tous les 500m. Elle sont armées par trois hommes et sont toutes équipées d’une échelle à crochets.

En 1881 l’outil est amélioré. L’échelle est constituée en bois de frêne pour les montants, les échelons sont en cornouiller (bois le plus dur à l’époque) et elle ne pèse plus que 12,5kg. La charnière permettant de la plier est déjà présente depuis longtemps. De nos jours, entièrement en aluminium, le poids est réduit à 8kg pour les modèles « 1 plan » et a conservé sa place sur l’ensemble des engins-pompe (hormis les engins feux de forêts ou de grande puissance – CCF/FMOGP).

Devenue indispensable sur feu…

Les pompiers de Paris, forts de leur réputation ont montré la renommée de cet agrès rustique lors du feu de la rue Erlanger, dans la nuit du 5 février 2019, où la majorité des 64 sauvetages ont été réalisés au moyen de cet agrès. Le feu d’hôtel de la rue de Provence en avril 2005 a, lui aussi, marqué les esprits des pompiers parisiens ayant connu cette intervention. Là aussi, sans cette échelle permettant d’aller au delà des limites de ses semblables, de nombreuses vies n’auraient pu être sauvées.

Il est intéressant d’observer la capacité physique des intervenants des heures durant et dans des conditions extrêmes de rusticité.

Ci-dessous vous pourrez voir en direct un sauvetage au moyen de l’échelle à crochets de toute une famille. Ceux qui connaissent l’agrès, savent la complexité d’une telle action. Quant au sauveteur, d’être envahi par une émotion de fierté d’avoir sauvé une famille des flammes serait légitime. Pourtant, il n’en reste pas moins bouleversé. N’oublions pas qu’avant d’être des sauveteurs, les sapeurs-pompiers sont avant tout des hommes.


Chez nos voisins…

L’échelle a crochets a également connu un franc succès chez nos homologues nord-américains. C’est le Lieutenant Christ Hoell, en 1877, qui la fera intégrer sous le nom de « pompier ladder » pour rappeler son origine française. Aux Etats-Unis, elle sera retirée des engins en 1996. Cependant elle est toujours conservée dans le cadre de la formation. Nous pouvons également en apercevoir chez de nombreux homologues étrangers. Notamment en Europe, comme l’Allemagne, la Belgique ou encore l’Italie.

De nos jours, l’échelle à crochets continue de se montrer utile. A tel point que des sociétés proposent à la vente pour des particuliers, des échelles de secours. Ces dernières sont compactées sous la forme d’une mini-valise. Les crochets sont fixés par l’utilisateur qui déploie ensuite l’échelle de cordes s’y rattachant.

Le paradoxe est qu’elle ressemble fortement à l’originale créée au moyen-âge, mais avec les matériaux du XXIème siècle.

A croire que les inventions du temps jadis sont un éternel recommencement.


Sources et crédits : 

1/ illustration titre > source BSPP/BCOM (instruction au fort de Villeneuve St Georges) 

2/ Gallica

3/ Vidéos Youtube >  BSPP / FireFrenchy

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