Le chef dans la conduite des opérations, « Coup d’œil » et « feu sacré »

BSPP - COS

« Coup d’œil militaire et feu sacré, la vrai noblesse est dans celui qui va au feu » (Napoléon).

Confronté à une situation opérationnelle, le chef doit décider et agir au plus vite car sur ses épaules, repose le poids des responsabilités et la réussite de l’opération. Pour ce faire, il doit combiner de nombreuses qualités afin d’observer, analyser, évaluer les faits et événements qui se présentent à lui pour ensuite décider et agir face aux circonstances, dans le temps et dans l’espace. L’un des plus grands chefs militaires, Napoléon Bonaparte, évoque souvent plusieurs qualités utiles à ce titre, en faisant référence au « coup d’œil militaire » ou encore au « feu sacré ». Plusieurs années plus tard, en dehors de tout esprit belliqueux, l’officier de sapeurs-pompiers, commandant des opérations de secours (COS), se doit de mobiliser une somme de qualités comparables pour gagner la guerre contre le feu.

Comment parvient-il à ses fins, pour faire face et durer ? Combinant force de caractère et état d’esprit, méthodologie et organisation, mais aussi connaissances, savoirs et expérience, nous verrons qu’il agit en trois temps : avant, pendant et après pour faire face aux circonstances et gagner la bataille sur le terrain.

Se préparer, avant…

Le commandement d’une opération de secours, ne s’improvise pas. C’est une posture de travail qui s’organise sur le long terme. Cette aptitude n’est pas innée et doit être développée par celui qui est susceptible de commander face aux environnements dynamiques et complexes. Pour ce faire, le chef doit se connaitre, travailler son savoir-être et insister sur la préparation opérationnelle au quotidien.

Ainsi, il doit apprendre à se recentrer sur lui-même. Non pas par égoïsme, mais pour se ressourcer, s’accorder des moments de réflexion et penser sur le long terme. Ces instants personnels sont indispensables dans le cadre d’un travail d’introspection, à des fins de développement personnel. Le chef se doit d’être carré et détenir autant de base (courage et caractère) que de hauteur (esprit et talent). Ce juste équilibre est un impératif. Napoléon illustrait parfaitement ces propos au début de sa campagne de 1812 en Russie. Il prit pour objet de considération un vaisseau. Il dit : « l’esprit ce sont les voiles ; le caractère est le tirant d’eau : si celui-ci est considérable, et que la mature soit faible, le vaisseau fait peu de chemin, mais il résiste aux coups de mer ; si au contraire la voilure est forte et élevée, et le tirant d’eau faible, le vaisseau peut naviguer dans le beau temps, mais à la première tempête, il est submergé. Il faut, pour bien naviguer, que le tirant d’eau et la voilure se trouvent dans une exacte proportion ».

En ce qui concerne le courage et le caractère, ces deux qualités sont indispensables pour affronter les dangers et les surmonter tout en gardant son sang froid, mais aussi pour progresser, trancher, laisser agir ses subordonnés, et assumer les conséquences de ses actes. Le courage reste lié à la cohérence. Il faut d’abord « savoir ce que l’on veut, il faut ensuite avoir le courage de le dire, il faut ensuite avoir l’énergie de le faire » (Georges Clémenceau). Pour le caractère, le chef doit garder la tête froide, rester ferme, et ne pas se laisser éblouir et enivrer par les bonnes ou mauvaises nouvelles. Il doit faire preuve de tempérance, agir avec opiniâtreté et rester impassible en permanence. Sa maitrise de soi, et l’attitude apaisée, de calme et de sérénité qui en découle, lui permet de gérer son stress tout en guidant efficacement ses hommes dans l’action.  Pour le talent et l’esprit, ils sont liés à la capacité d’intuition, à l’imagination, à la formation intellectuelle mais aussi à l’instruction et aux connaissances. La curiosité quotidienne du chef doit lui permettre d’enrichir cet ensemble pour  compléter sa boite à outil.

Au delà du travail sur soi, le chef doit s’ouvrir aux autres et connaitre ses équipes. Il doit développer son collectif à travers la préparation opérationnelle mais aussi à chaque instant. Pour mobiliser les énergies et les compétences durant l’action, il faut travailler avec ses hommes et agir en restant impartial, humain, honnête, crédible, et dynamique. Le chef doit susciter l’adhésion du groupe.  C’est pourquoi toutes les occasions sont bonnes à prendre, qu’il s’agisse d’une discussion informelle autour de la machine à café, ou encore  en salle de sport lors des moments de dépassement de soi, en manœuvre ou en formation de maintien des acquis lors de l’accompagnement opérationnel. Il faut profiter du temps passé avec ses hommes en restant simple, ouvert, humble et à l’écoute. Cette juste harmonie et l’équilibre trouvé qui en résulte, permettra au chef de gagner en confiance et en crédibilité facilitant de fait sa prise de décision en intervention comme au quotidien. Enfin, un chef doit savoir décider dans l’incertitude et faire preuve d’un courage moral supérieur, « celui de deux heures après minuit, c’est-à-dire le courage de l’improviste, qui en dépit des événements les plus soudains, laisse néanmoins la même liberté d’esprit, de jugement et de décision ». Pour cela il doit accepter de douter, et admettre que tout n’est pas maitrisable, que de nombreux aléas et surprises peuvent impacter ses décisions. La préparation opérationnelle doit encourager chacun à faire preuve d’adaptation en trouvant les leviers pour contourner cette possibilité.

S’adapter, pendant…

En intervention, le chef mobilise les qualités développées en amont et ajustées en permanence. Il doit agir avec méthode, rigueur et organisation avec pour seule finalité, la réussite de l’opération. Avant toute chose, il lui est indispensable de prendre en compte plusieurs informations dès l’alerte et l’engagement (données astro-météorologiques, motif de l’intervention, données opérationnelles, première analyse de la ZI[1], autres observations) mais aussi en transit (moyens engagés, écoute des messages du premier COS, demande de renfort par anticipation, réflexion sur l’emplacement du PC[2], du CRM[3], du point de transit….).

[1] ZI : zone d’intervention ;

[2] PC : poste de commandement ;

[3] CRM : centre de regroupement des moyens.

Une fois sur les lieux de l’intervention, il doit poursuivre le recueil  d’informations utiles pour sa prise de décision à travers sa reconnaissance et via un questionnement dirigé auprès des personnes ressources. « Apprécier les circonstances dans chaque cas particulier, tel est donc le rôle du chef. Du fait qu’il les mesure, qu’il les exploite, il est vainqueur, du fait qu’il les ignore, qu’il les juge mal, il est vaincu. C’est sur les contingences qu’il faut construire l’action » (Charles De Gaulle).

Cela prend tout son sens dans la posture que doit adopter le chef. Celui-ci doit agir avec discernement, observer les événements et en analyser les faits: QUI ? [nombre de victimes, état et gravité] ; QUOI ? [sinistre, source, flux, cibles] ; OU et QUAND ? [localisation, type de bâtiment, volume et superficie, heure de l’événement] ; COMMENT ? [actions engagées (efficacité, cohérence), dimensionnement des moyens, balance bénéfices-risques]). Il faut observer ces variables, paramètres, prioriser et sélectionner les informations. Formalisant sa prise de COS et actionnant ses premières réactions immédiates (message d’ambiance..).

Il rappelle avec précision les règles de sécurité à son personnel pour assurer leur protection, et prend du recul pour élaborer et mettre en œuvre ses premières décisions. A cette étape, agile et adaptatif, il doit viser l’essentiel, et séparer ce qui est important de ce qui est secondaire, réduire les phénomènes de friction (brouillard opérationnel) et accepter l’imprévu à travers sa prise de décision. Pour ce faire, il anticipe, prend en compte la situation dans sa globalité et agit avec le recul suffisant et nécessaire pour mesurer les risques et enjeux (identifier, formuler, hiérarchiser) tout en évaluant leur conséquence et en essayant d’en limiter l’inconnu.

La formulation des ordres passe par un cadre précis. Ils sont formulés de façon claire et explicite. Le cadre d’ordre « SAOIECL [1] » (pour le chef de colonne) vise à identifier avec méthode la tactique opérationnelle à mettre en œuvre pour lutter contre le sinistre:

S : description de la situation [QUOI ? OU ? PAR OU ?] ;

A : analyse des enjeux [JUSQU’OU ?] ;  

O : objectifs : [QUOI FAIRE ?] (personnes, biens et environnement) ;

I : Idée de manœuvre [COMMENT FAIRE ?];

E : exécution [AVEC QUOI ?] (secteurs, moyens et missions) ;

C : commandement [QUELLES REGLES ?] ;

L : logistique : [QUELS BESOINS ?].

Autant de questions qu’il convient de se poser tout au long de l’intervention pour adapter son organisation à la cinétique de l’événement. Il faut voir clair en tout (le coup d’œil) et surtout en situation confuse, saisir les situations dans leur globalité et en prévoir les évolutions.

[1] SAOIEC : Moyen mnémotechnique du cadre d’ordre de l’officier sapeur pompier (chef de colonne). L’ordre initial permet d’exécuter les premières missions. L’ordre de conduite permet de lancer les actions suivantes au fur et à mesure de l’évolution de la situation. Ces ordres peuvent être exprimés à la voix (terrain ou PC) ou par radio, selon les circonstances. Ils faciliteront le point de situation avec le N+1, ou le compte-rendu au CODIS, ou le point de situation à une autorité.

Pour dominer les événements, le chef agit en permanence avec ses hommes. Il contrôle l’action et sa bonne exécution. Il réajuste les écarts constatés, en assume les conséquences et en porte les responsabilités. Son esprit « métier » et son caractère lui permettent de rester concentré, de travailler avec opiniâtreté en conservant l’étincelle morale (le feu sacré), l’enthousiasme et la volonté indispensables à la mobilisation des troupes en action. « Plus que jamais, le défi du chef sera de s’adapter et improviser pour transpercer l’ombre de la complexité grâce aux lumières de sa lucidité » (Francois Olivier CORMAN). 

Comprendre et apprendre, après…

L’opération terminée, il est désormais utile d’en tirer les conclusions et leçons pour identifier les bonnes pratiques mises en œuvre et axes d’amélioration futurs à apporter. Comme évoqué par Sun Tzu à travers son célèbre art de la guerre « un général ne cherche pas à rééditer ses exploits, mais s’emploie à répondre à l’infinie variété des circonstances ». Ce constat évoqué, est rappelé par la DGSCGC[1] à travers ses guides de doctrine opérationnelle, « la mise en œuvre de la doctrine requiert du discernement pour être adaptée aux impératifs et contraintes de chaque situation ». On comprend donc bien (en étant confronté à une situation B) qu’il ne s’agit pas de reproduire telle une recette magique et sans raisonnement les solutions et décisions qui auraient pu être efficaces face à une situation A similaire (exemple pour deux feux de bâtiment distincts). L’objectif consiste plutôt à ouvrir son champ de connaissance, pour alimenter et construire sa boite à outils. En effet, l’officier de sapeur-pompier est avant tout un Homme d’action, polyvalent, qui doit user d’une multitude de technique en faisant preuve de réflexion opérationnelle.

[1] DGSCGC : direction générale de la gestion des risques et des crises (ministère de l’intérieur).

Pour ce faire, les retours d’expérience, débriefing et diffusing opérationnels permettent d’entretenir une relation de confiance avec ses hommes en favorisant le partage des ressentis, en encourageant le soutien réciproque, et la lutte contre le repli. La communication qui en découle facilite l’expression sans peur ni jugement pour reconstruire l’histoire en lui donnant du sens. Elle est utile pour le chef qui peut alors bénéficier d’un feedback complet pour se construire et s’améliorer dans la durée. C’est alors que la réflexion collective permettra d’objectiver les décisions prises, d’identifier les difficultés et bonnes pratiques, d’instituer une culture d’organisation apprenante et de renforcer la résilience de chacun. De plus et afin d’entretenir et enrichir son savoir, le chef doit faire preuve d’une curiosité permanente et profiter de son temps libre pour s’instruire, car « la véritable école du commandement est la culture générale. Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote » (Charles de Gaulle).

In Fine…

En définitive, « coup d’œil du chef » et « feu sacré » se développent tout au long du parcours de l’officier et sont utiles dans le cadre de la conduite des opérations. Ce développement, s’articule en trois temps. Le commandant des opérations de secours se doit de se connaitre pour développer les qualités attendues du chef que sont le courage, le caractère, l’esprit et le talent. Ferme, résolu à vaincre contre le feu, il doit agir en permanence avec vigueur et énergie pour mobiliser ses hommes dans l’action. Ainsi, il doit gagner leur confiance et assurer leur préparation opérationnelle avec pour seul but la réussite de l’opération. Exposé au sinistre, il doit sans cesse s’adapter aux circonstances, gérer l’imprévu et faire preuve de discernement et méthode durant toutes les phases de la conduite de son intervention. Il agit en ayant une vision globale de la situation pour voir clair en tout et « transpercer l’ombre de la complexité grâce à la lumière de sa lucidité ». Une fois l’opération terminée, il veillera à communiquer et échanger avec ses équipes afin de dégager les bonnes pratiques à travers le retour d’expérience. Capitalisant de ce fait son savoir-faire et les connaissances acquises, il veillera à poursuivre son instruction grâce à sa curiosité pour compléter sa boite à outil, se préparer et durer face à l’infinie variété des circonstances.


L’auteur…

Auteur – contributeur Rescue18

Capitaine Kévin Muguet

Bibliographie :

Partenaires

Retour en haut
Aller au contenu principal