Raisonnement tactique pour chef de groupe et chef de colonne

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Qu’il soit chef de groupe ou chef de colonne, le COS (commandant des opérations de secours) chez les sapeurs-pompiers, sera confronté à des interventions qui nécessiteront un raisonnement tactique opérationnel. Ces situations feront appel à l’enseignement reçu, son bon sens, son analyse et son expérience. Dans la continuité de nos précédents articles sur le commandement, Rescue18 vous propose un focus sur ces deux fonctions opérationnelles.

NDLR : article écrit en collaboration avec le capitaine Kévin Muguet (SDIS 80) et Rescue18.


L’exercice du commandement, un art complexe

L’exercice du commandement est un art complexe et difficile à maitriser. Il requiert des aptitudes intellectuelles et morales mais aussi des qualités spécifiques. Ce dernier s’exerce plus particulièrement dans le cadre de la conduite des opérations de secours. Confronté à la détresse des populations, le COS doit agir face à des environnements dynamiques et évolutifs dans le temps et dans l’espace en restant attentif à l’efficacité et la pertinence des actions engagées avec pour seul objectif, la réussite de sa mission.

Avec plus de 4 millions d’interventions chaque année en France, les sapeurs-pompiers sont confrontés à une infinie variété de circonstances opérationnelles. Chaque intervention est unique et particulière en soi mais s’intègre dans un cadre global source de nombreuses similitudes. 

D’une part, un environnement de travail, encore appelé « zone d’intervention« , caractérisé par la présence de dangers qu’il faut soustraire et supprimer, d’enjeux capitaux (vies humaines, biens, environnement en péril) qu’il faut protéger et préserver, et d’un terrain propice à la survenue de nombreux autres risques liés aux aléas et enjeux présents. D’autre part de variables, parfois non maitrisables, ayant une incidence non négligeable sur l’évolution du sinistre (espace, temps, facteurs humains [tension psychologique et intelligence émotionnelle du COS, vécu, expérience], conditions météorologiques…).

Celui qui fixe le cap !

Exposé aux situations opérationnelles complexes, le commandant des opérations de secours doit s’engager dans l’urgence pour prendre les meilleures décisions. Ce dernier doit agir avec célérité malgré sa vision parcellaire des problématiques rencontrées. Seul, face à ses responsabilités, il doit être suffisamment lucide et faire preuve de discernement tout au long de son action sur le théâtre des opérations.

Aveuglé par l’obscure fumée dans lequel il évolue et naviguant en eaux troubles, il se doit cependant de rechercher un horizon favorable pour accomplir sa mission. Telle une véritable boussole sur le terrain, le COS est celui qui fixe le cap et la direction à suivre pour conduire les hommes et actions engagées.

Ferme dans ses choix et explicite dans les ordres qui en découlent, il doit faire preuve de tempérance et maitriser ses émotions pour mener à bien son collectif. De plus, pour rester efficace, il doit veiller à ne pas négliger le caractère imprévisible de la situation et l’incertitude du résultat des actions engagées (caractéristiques propres aux environnements dynamiques).

« Il faut alors parfois penser l’impensable pour décider dans l’incertitude » (Général Desportes) et définir différentes situations envisageables. Cette posture nécessite beaucoup d’humilité, de sérénité, mais aussi du sang-froid eu égard à la lutte contre les évènements rencontrés.

Face aux difficultés évoquées, il existe cependant quelques fondamentaux, méthodes et points de repères utiles pour guider l’action du commandant des opérations de secours et n’oublions pas que commander c’est rechercher l’efficacité opérationnelle dans l’action.


La conduite des opérations de secours

De par la nature complexe du commandement et des situations rencontrées, il n’existe pas de procédures types permettant traiter efficacement une intervention. 

En revanche, quelques outils opérationnels (cadre de la gestion opérationnelle et du commandement) et méthodologiques (boucle de gestion des environnements dynamiques) peuvent conforter le commandant des opérations de secours dans son action. Adaptés aux réalités de terrain, ce cadre méthodologique devra cependant être utilisé avec souplesse et bon sens sur intervention. 

Il s’agira alors d’user de : « Des principes fixes à appliquer de façon variable, suivant les circonstances, à chaque cas qui est toujours particulier et demande à être considéré en lui-même ». (Maréchal FOCH) 

Ce mode de raisonnement se compose de différentes étapes et points de repères permettant, face à un problème, de déterminer des buts, d’acquérir la connaissance appropriée et d’opérer des choix en dépit de l’incertitude, des aléas et de la complexité plus ou moins importante d’un environnement. Il constitue la boussole opérationnelle du COS, utile pour garder le cap et s’exfiltrer de la tempête. 

Observer la zone d’intervention – prise d’informations et reconnaissance

Cette phase d’observation est indispensable pour identifier le problème et tenter de le résoudre. Elle débute dès la lecture du ticket de départ et se poursuit durant le transit jusqu’à l’arrivée sur les lieux de l’intervention. 

Au-delà d’exercer l’art du commandement, le chef devra donc aussi exercer l’art du questionnement (prise d’informations) pour obtenir les éléments utiles à la compréhension du sinistre (circonstances actuelles) « De quoi s’agit-il ? »

Quelques questions simples [QQOQCP] seront adressées aux primo-intervenants et autres personnes ressources (Quoi ? Qui ? Où ? ….) pour identifier le cadre général de l’intervention. 

Durant cette phase, il faut observer le sinistre, ses variables, ses paramètres, prioriser et sélectionner les informations recueillies. A l’issue, ou en parallèle, les réactions immédiates peuvent alors être engagées (sauvetage, mise en sécurité…). 

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  • Stationne-toi de façon à préserver les axes logistiques ;
  • Revêts tes EPI entièrement et contrôle que tes personnels soient bien protégés également ;
  • Procède à ton analyse de l’intervention, ta lecture batîmentaire, ton premier tour du feu (rapide) ;
  • Reçois les comptes-rendus de tes chefs d’agrès pour compléter ta perception de la situation ; 
  • Questionne les requérants, témoins, etc ;
  • Définis ton SOIEC (ou autre) ;
  • Donne tes ordres et insiste sur la sécurité ; 
  • Transmets ton message de prise de COS et renseigne le commandement ;
  • Pense à avoir un carnet de messages et de suivi des missions et des engins sur toi en attendant l’arrivée du poste de commandement tactique.

La reconnaissance cubique de la zone d’intervention complète ce renseignement. Menée après une lecture attentive du sinistre et une recherche des risques, elle permet d’identifier les premiers éléments utiles à la prise de décision (le coup d’oeil du chef). Le COS devra prendre le recul nécessaire tout en adoptant une hypervision 3D pour cerner la situation. 

Le zonage de sécurité est sous la responsabilité du COS. Lui seul décide des emplacements, des limites et des dénominations des secteurs.

Orienter ses choix

Pour orienter ses choix, le COS devra naturellement structurer sa pensée et donner « priorités aux priorités ». Il fera appel à ses capacités de réflexion et à son intelligence de situation. Mobilisant son expérience, son vécu et son intuition, il orientera naturellement ses choix après une analyse fine des éléments recueillis lors de la précédente étape. 

La méthode de raisonnement tactique représentée par le triptyque (source, flux, cibles) constitue un excellent outil pour comprendre une situation et ses enjeux et organiser son chantier (identification des façades, numérotation des véhicules accidentés…). 

Cette analyse de la zone d’intervention doit être complète et détaillée tout en étant rapide et efficace. La lecture du feu (fumées, flammes, chaleur, ouverture, sons) est utile pour identifier le stade de développement de l’incendie et mettre en oeuvre une stratégie d’extinction adaptée. La lecture batîmentaire (typologie de construction, structure interne, externe, cloisonnement, compartimentage….) permettra quant à elle de considérer les risques de propagation, d’identifier les cheminements et autres accès au sinistre. 

Les réactions immédiates engagées à l’issue peuvent relever du domaine de l’action dont les sauvetages et mises en sécurité, mais aussi du renseignement et de l’information exprimés à travers le message d’ambiance « je suis, je vois, je demande ». Il sera communiqué au centre opérationnel dans les 10 premières minutes après l’arrivée sur les lieux de l’intervention. 

La prise de décision

La prise de décision constitue l’étape fondamentale de l’intervention. En effet, il s’agit de faire des choix opérationnels (ordres) qui auront une incidence significative sur l’évolution du sinistre. Ces derniers devront être clairs, précis, réalistes et adaptés. Le COS doit alors formuler des hypothèses et élaborer des situations envisageables qu’il traduira en objectifs et idées de manoeuvres à travers son ordre initial [S(A)OIEC(L)].

Ajusté au fil du temps (ordres complémentaires), il permettra de transmettre les ordres adaptés à chaque chef d’agrès (niveau groupe) ou chef de secteur (niveau colonne) via des points de situation fréquents et réguliers. 

L’effet majeur recherché et à obtenir s’exprime alors selon la célèbre formule « afin de….. je veux…. ». Chaque ordre permet de répondre au « comment ? » et permet ainsi à chacun de savoir ce qu’il doit faire. Le COS recherchera les solutions les plus satisfaisantes et non les meilleures compte tenu des difficultés rencontrées. 

L’action – exécution

Les choix étant assurés à travers la prise de décision du COS et ordres transmis, il s’agit alors de conduire et construire l’action sur la base des contingences malgré l’impossibilité d’envisager toutes les solutions et l’incapacité d’analyser ces dernières jusqu’au bout de leurs conséquences. « Le grand chef c’est celui qui comprend et agit en conséquence » (Hervé Coutau-Bégarie). 

« Comment puis-je faire ? » A travers cette étape, les idées de manoeuvres seront engagées par les équipes sur le terrain. La cohérence des actions devra alors correspondre aux ordres transmis et les moyens mis en adéquation et répondre aux besoins rencontrés. 

Les idées de manoeuvres sont fixées en concertation avec les chefs d’agrès/groupe engagés (système horizontal). Cependant, le COS reste l’unique décideur et fixe ses objectifs en conséquence (système vertical).

Ces dernières sont établies conformément aux techniques opérationnelles en vigueur (GDO, GTO,…) et reposent sur le principe de subsidiarité et sont structurées autour du triptyque « un chef – une mission – des moyens »

Pour mener à bien sa mission, le COS définira les ressources nécessaires pour lutter contre le sinistre. Elles feront l’objet d’un dimensionnement opérationnel adapté. Ce dernier ne doit pas être sous-estimé et réalisé à la volée (sur/sous-dimensionnement). Il doit correspondre aux réalités du terrain. Pour ce faire, quelques règles simples d’évaluation des moyens existent et permettent d’ajuster la balance des moyens nécessaires. 

Pour les premiers intervenants qui n’auront pas le temps de faire autant de calculs… Retenez :  1 LDV/LDMR 500 = action efficace sur 100 m2.

Il ne faudra pas négliger les transmissions, le soutien de l’homme, la sécurité tout au long de l’intervention à travers l’organisation du commandement. 

Le schéma tactique (ou SITAC) sera utile pour illustrer la situation, les objectifs et idées de manoeuvres du COS, mais aussi les actions engagées et prévisibles.

Contrôle (évaluation) de l’action

Enfin, cette dernière phase d’évaluation inhérente à l’action permet au COS d’en mesurer l’efficacité et la pertinence. Elle contribue au réajustement du dispositif dans le cadre d’une démarche d’amélioration continue. Elle détermine la stratégie de performance du COS et de ses équipes (les actions sont-elles cohérentes ? Sont-elles efficaces ?). 

L’ajustement du dispositif restera dépendant de l’évolution favorable ou défavorable du sinistre dans le temps et dans l’espace, et donc par conséquent des potentielles problématiques rencontrées. Les moyens sont-ils suffisants ? Adaptés ? L’effet recherché et à obtenir devra être atteint. Les résultats présents en conséquence. Le COS agira toujours avec le recul nécessaire, à l’écoute et en soutien de ses hommes pour réussir la mission. 

C’est alors que le raisonnement opérationnel reprendra son cycle dès la première étape d’observation. Mené avec souplesse et de façon non linéaire, le cycle sera adapté à chaque nouvelle observation ou problématique rencontrée. Les objectifs et idées de manoeuvres seront ajustés et le cadre d’ordre modifié (ordre initial ⇒ ordre de conduite). Des points de situation seront de nouveau organisés. Une vigilance accrue sur l’aspect sécuritaire sera assurée selon l’évolution des paramètres de l’intervention et des actions engagées. 


En définitive…

Si l’exercice du commandement est complexe sur intervention en raison du caractère spécifique de nos interventions (environnements dynamiques, incertitude, vision parcellaire des problèmes, facteurs humains, ….) il existe cependant quelques cadres et repères utiles pour faciliter l’action des équipes sous l’autorité du chef. Ce dernier formé à la fonction de commandant des opérations de secours dispose d’aptitudes intellectuelles et morales pour faire face au problème rencontré. Il pourra structurer sa pensée sur les fondements du raisonnement tactique divisé en étapes et repères clés (boucle BGED) : prise d’information via une observation et un questionnement minutieux pour acquérir les connaissances et identifier le problème ; analyse de la zone d’intervention (reconnaissance cubique, lecture du feu, lecture batîmentaire) pour orienter ses choix ; prise de décision (cadre d’ordre GOC) pour agir avec discernement et penser l’action ; mise en oeuvre des objectifs et exécution des idées de manoeuvres (actions) sans négliger l’évaluation et le contrôle d’ensemble utile pour ajuster le dispositif opérationnel engagé. Pour le chef il s’agira alors de réaliser une profonde analyse en faisant preuve de synthèse et célérité pour ne pas se laisser dépasser par les événements.


Pour aller plus loin…

Utiles pour poursuivre la réflexion : 

  • Guide de doctrine opérationnelle – exercice du commandement et conduite des opérations – version 2 juin 2020 – Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises. 
  • Mémento Gestion Opérationnelle et de Commandement – ENSOSP 
  • Les fondements de la culture de prise de décision opérationnelle en France (Colonel Clée, chef du pole études et prospective du CDEC). 
  • Foch, Ferdinand, Des principes de la guerre. Conférences faites à l’École supérieure de guerre, Berger-Levrault, 1903, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k86515g/f6.vertical, rééd. Économica, 2007 
  • Von Clausewitz, Carl, De la guerre, 1832, rééd. Tempus, 2014. 
  • La prise de décision opérationnelle dans l’armée de terre – revue militaire générale – 53.2019 
  • L’action décisive : de l’intention à la réalisation – revue militaire générale – 03.2019 

COS : Commandant des Opérations de Secours (Article L1424-4 du CGCT).

Crédit photo illustration article : A.Dheilly / SDIS 60

Sources : Capitaine Kevin Muguet – SDIS 80 / DGSCGC GDO-GTO

Auteur – contributeur RESCUE18

Capitaine Kévin Muguet – Chef CIS – SDIS 80

Kévin Muguet
Author: Kévin Muguet

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