Le Sarce chez les sapeurs-pompiers : enfin la vérité !

Sarce pompiers

C’est quoi un Sarce chez les sapeurs-pompiers ? Notre corporation a l’habitude d’utiliser ce sobriquet pour désigner un pompier ancien et expérimenté et c’est bien là sons sens actuel. Oui mais voilà, quelle est son origine ? Pourquoi ce mot ? Rescue18 vous livre enfin la vérité sur un des termes les plus emblématiques des sapeurs-pompiers… Vous allez être surpris !

NDLR : cet article est tiré des recherches et du travail du major Didier Rolland puis a été publié en 2019 dans l’ouvrage « Le Jargon du Pompier ».


Prélude, recherches et philologie

Dans la vie d’un historien, l’or se dissimule derrière des recherches qui peuvent sembler futiles. La recherche des grandes étapes de notre histoire est une quête passionnante que l’on poursuit dans les archives, les manuels anciens et tout ce qui constitue une source exploitable et fiable. Mais Clio est parfois facétieuse et elle glisse dans l’histoire proche des mystères insolubles. Parmi les mystères qui auront tenu en haleine tous les sapeurs-pompiers de Paris, le mot sarce est probablement celui qui représente un paradoxe. Il est le plus célèbre et ses origines sont les plus inconnues qui soient… Jusqu’à ce jour où il semble temps de dévoiler les sources de son origine !

La recherche sur les origines du mot sarce nous éclaire sur la démarche de l’histoire en matière de langage et plus particulièrement dans le domaine, parfois empirique, du jargon. Le mot est connu de tous les pompiers, pour une population qui se situe entre quelques jours et quarante ans de service. Paradoxalement, personne n’est en mesure de fournir une explication à son origine, et surtout pourquoi ce mot en particulier. Qu’y a-t-il dans le sarce qui exprime l’ancienneté et l’expérience ?

Un jargon pas si vieux que çà !

Chez les sapeurs-pompiers de Paris, il désigne un pompier ancien ayant de l’expérience avec une connotation plutôt respectueuse. Mais de quand date cette terminologie ? À l’enquête, nos grands anciens ayant servi pendant la guerre ne connaissaient pas ou, pour ceux qui avaient quitté le Régiment dans les années 1950, n’avaient entendu ce terme que dans la bouche des plus jeunes avec lesquels ils étaient restés en contact.

L’introduction de ce terme dans le vocabulaire des sapeurs-pompiers semblait donc relativement récente et remonter à un passé assez peu ancien. Une première datation approximative permettait empiriquement de penser que l’apparition de ce terme était située courant xxe siècle, entre la fin des années 1950 et le début des années 1960. À l’époque où je débutais mes recherches sur le sujet (en 2001), les personnels d’active les plus anciens avaient été incorporés au début des années 1960.

Une origine aux pistes multiples…

Quant à l’origine du terme, toutes les suppositions étaient permises… Une première approche par le biais d’une recherche dans les dictionnaires modernes démontrait qu’à part « sarcelle » il n’existait pas d’autre substantif commençant par sarce. En revanche, le dictionnaire d’argot parisien de Lorédan Larchey avait pu laisser entrevoir la possibilité que le sarce soit une déformation d’arsouille. Ce mot d’origine régionale emprunté à la langue d’oïl de l’ouest qui signifie « buveur ». Cette analogie n’était pas incongrue car ce terme est également utilisé par dérision par les sapeurs-pompiers dans le sens « d’ancien » pour désigner un ivrogne portant les stigmates de l’alcoolisme. L’association n’avait pourtant aucune cohérence. Toutefois, si le terme sarce dans son utilisation générale n’a pas de connotation ironique, la déclinaison féminine sarceuse, qui correspond dans le jargon pompier à une femme qui fréquente de nombreux hommes, semblait se rapprocher (un peu) d’une définition trouvée dans le dictionnaire d’argot de Lorédan Larchey dans le sens « ignoble vaurien, canaille ».

La recherche dans un dictionnaire de latin a permis de localiser le mot sarceo. Ce terme a plusieurs significations. L’une d’elles a un rapport avec la guerre. En effet, sarceo désigne l’endroit où le légionnaire romain place son paquetage. Il a également le sens de « bête de somme ». Mais le plus intéressant est surtout celui de « raccommoder, ravauder » dans le domaine de la couture.

Dans un dictionnaire du français ancien pour la période du Moyen Âge, nous avions trouvé sarcir qui faisait toujours référence à la couture dans son sens de « raccommoder, ravauder ». Sarciceor est celui qui répare. Il était tentant, mais pas très logique non plus, de faire le rapprochement du terme « pompier » dans le sens d’« ouvrier chargé des petites taches de couture et en particulier du ravaudage ». Tout au plus était-il anecdotique de le souligner.

Il prend un sens différent dans une référence dans un ouvrage intitulé Marco Polo. Sarce, dont il est précisé que l’origine est incertaine, est employé pour désigner un cordage, un agrès. Enfin, l’adjectif sarci possède aussi le sens de « couturé, plissé » et s’emploie au Moyen Âge pour désigner un visage. Là encore la piste s’avérait fausse ou bien trop « capilotractée » pour reprendre une expression bien connue des sapeurs-pompiers (synonyme de « tiré par les cheveux »).

Une bouteille à la mer… et surprise !

En désespoir de cause, je publiais dans un Allo Dix-Huit (n°605) un article intitulé « Le langage imagé des sapeurs-pompiers » dans lequel j’insérais un encadré sur la difficile quête pour résoudre le mystère des origines du sarce ; la parution d’un article sur les origines du langage a provoqué une réaction. Le courrier d’un ex-sous-officier affirmait que le mot était issu du patois auvergnat pour désigner un saucisson sec et dur et qu’il faisait partie du jargon des salaisonniers. Cet emprunt/apport, plus ou moins daté des années 1950, sans autre précision, aurait été effectué dans le sens de « dur à cuire » pour désigner un ancien pompier. Une recherche plus approfondie en Auvergne localise effectivement les origines du sarce dans le département de la Haute-Loire.

D’après les renseignements obtenus auprès de monsieur Comte, salaisonnier à Fix-Saint-Geneys, le sarce remonte à l’origine de la fabrication du saucisson en Auvergne au xve siècle.

Une signification très imagée…

À cette époque, la population rurale, très pauvre, fabrique un saucisson composé de diverses viandes, hachées grossièrement au couteau. Pour favoriser la maturation et la conservation de ce saucisson, il est enrobé d’argile et enterré dans la terre. Les salaisonniers employaient comme nous aujourd’hui l’adjectif « vieux » pour qualifier ce saucisson. Le résultat était bien comme nous l’apprenait cet ancien sous-officier du Régiment, un produit dur et sec, un vieux sarce. Ceci semble donc bien confirmer cette origine comme étant celle qui fut introduite dans le jargon des sapeurs-pompiers probablement par un sapeur ou gradé d’origine auvergnate, et dont le nom n’est pas passé à la postérité, pour désigner les anciens qui étaient des « durs à cuire ». Le lien, bien que d’origine verbale, nous mettait enfin sur une piste crédible. Le terme venu d’Auvergne allait ainsi devenir l’un des substantifs les plus célèbres de la langue des sapeurs-pompiers.

L’introduction de ce terme dans le jargon moderne du sapeur-pompier de Paris garde donc une partie du mystère de l’alchimie qui avait réussi l’ancrage solide dans la langue de notre institution. Signe de sa bonne santé, il a été la base de déclinaisons amicales ou non, et l’on recense des dérivés typiques de la langue argotique comme sarcillon, terme ironique pour désigner un jeune sapeur qui joue les anciens ou d’autres dérivés classiques comme sarsouille, ou sarsifolot employé dans le sens d’« ancien ». La féminisation du terme en revanche est tantôt péjorative si elle est se termine en -euse. Une sarceuse est une fille de mauvaise vie, ou une fille à soldat. Une sarcette est au contraire un terme sans connotation péjorative pour désigner les personnels féminins à la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris, bien avant qu’elles n’intègrent le service incendie.


Le mystère est enfin dévoilé ! Merci Monsieur Didelot et merci Monsieur Rolland.

didier rolland
Didier Rolland – BSPP (1831 section MMI)
spp culture et traditions

Didier Rolland :
Ex-major, ayant servi à la BSPP de 1977 à 2017. Historien de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (2004/2019), il est titulaire d’un master d’histoire. Il est l’auteur de nombreux articles, conférences, documentaires et ouvrages sur les aspects très diversifiés de la culture des groupes spécialisés dans le sauvetage et la lutte contre l’incendie du xviiie siècle à nos jours. Bibliographe, chercheur, spécialiste de l’histoire de la prévention incendie en France aux xixe et xxe siècles, il s’intéresse également au domaine des représentations et des traditions populaires liées au sapeur-pompier ainsi qu’à l’évolution de son jargon.

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