Le PCA : un outil stratégique pour les sapeurs-pompiers

PCA - plan de continuité d'activité

Quel est l’objectif principal d’un plan de continuité des activités (PCA) ? Quelles applications stratégiques pour les sapeurs-pompiers ? Rescue18 explique.

« Le plus grand danger dans les moments de turbulence, ce n’est pas la turbulence, c’est d’agir avec la logique d’hier.»

Peter Drucker

La situation sanitaire actuelle met en exergue la possible dégradation des activités des organisations, qu’elles soient publiques ou privées. C’est ainsi que le lundi 3 janvier 2022, le Premier ministre a réuni dix ministres afin de faire le point sur la continuité des services publics « essentiels ». La presse s’en est fait l’écho, évoquant les risques de désorganisation pouvant résulter d’une augmentation de l’absentéisme. Les secteurs concernés ont été cités : « les hôpitaux, lieux d’enseignements, transports en commun, administrations, armée, gendarmeries et commissariats ou encore entreprises du secteur de l’énergie« .

Nonobstant le fait que les sapeurs-pompiers sont curieusement oubliés dans cette liste, certes non exhaustive, la notion de plan de continuité d’activité (PCA) semble totalement méconnue ou bien oubliée !

Rappelons donc à nos chers lecteurs de Rescue18 ce que représente ce véritable outil d’anticipation et de gestion des situations de crise.

Covid-soignant
Alberto Giuliani, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Pourquoi un PCA ?

 » L’essentiel en enfer, c’est de survivre « . (Michel Audiard)

Essentiel, utile, nécessaire, indispensable, vital ? Derrière ces synonymes avec quelques écarts de valeurs , il faut bien comprendre que la poursuite d’une activité en mode dégradé sera bien sûr dépendante de la raison d’être d’une organisation et de l’objectif fixé pour répondre à des besoins servant l’intérêt général. Le risque ultime serait l’interruption totale d’une activité privant la population d’une ressource jugée comme incontournable.

Le but principal d’un PCA est d’assurer, y compris face à des crises graves, quelle qu’en soit la nature :

  • le maintien d’activités jugées indispensables (prestations de services, tâches opérationnelles), notamment pour ses bénéficiaires, 
  • la reprise progressive des activités habituelles. 

Méthodologie

Cette démarche est méthodologique et se rapproche de nombreux systèmes de management, à commencer par celui du management du risque (évaluation et gestion), tel que défini par des normes de référence : l’ISO 31 000 et l’ISO 31010.

Le traitement de ce risque particulier d’une atteinte aux activités fait également appel aux principes d’amélioration continue du  » PDCA  » (  » Plan Do Check Act « ) :

  • Planifier (établir),
  • Déployer (mettre en œuvre et exécuter),
  • Contrôler (surveiller et réexaminer),
  • Agir (maintenir et améliorer).

Le raisonnement suit la progression ci-contre :

Gestion_des_risques
Crédit : 2KLD, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons

Pour caractériser ces phases de réflexion, on peut également s’appuyer sur une méthode de résolution de problèmes adaptable à de nombreux domaines : le  » SORAC « .

Cet acronyme, c’est un peu le  » SOIEC*  »  du pilotage de la performance ! Il signifie : 

  • Situer
  • Observer
  • Réfléchir
  • Agir
  • Contrôler

Ces étapes consistent à définir l’objectif à atteindre (avec ses contraintes), identifier les causes du problème posé, chercher et choisir des solutions, les planifier et les mettre en œuvre, vérifier les résultats obtenus et corriger si nécessaire.

*  Méthode connue des sapeurs-pompiers pour la gestion opérationnelle et le commandement : Situation, Objectif, Idée de manœuvre, Exécution, Commandement.

managementt
Gukino, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons

Des appuis pour bâtir son PCA

Comme dans de nombreux domaines, la première question à se poser, avant de s’attaquer à l’élaboration d’un PCA, est de vérifier l’existence, ou pas, d’une obligation réglementaire ou bien de la formalisation de recommandations, de bonnes pratiques.

Deux outils principaux peuvent accompagner une telle démarche :

La norme NF EN ISO 22301 de novembre 2019 « Sécurité et résilience-Systèmes de management de la continuité d’activité-Exigences », disponible et payante sur le site de l’AFNOR, comme toute norme d’application volontaire. 

Le guide, gratuit,  pour réaliser un PCA du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (2013). Il est à la fois informatif, pédagogique et pragmatique. Des fiches pratiques sont proposées avec la possibilité d’adopter une méthode complète ou simplifiée.

Il est donc plus adapté de parler d’un « système de management de la continuité d’activité « , avec une approche globale, plutôt que d’un simple  » plan  » : un  » SMCA  » plutôt qu »un  » PCA  » ! « 

Mais au-delà de la méthodologie, le plan sera le résultat d’une réflexion menée par les acteurs concernés.

Élaborer un PCA fait en effet partie intégrante d’une démarche d’amélioration continue et cela constitue un système de management à part entière.
Fortement lié à une analyse de risques, c’est définir de manière structurée un ensemble de mesures coordonnées :

  • Avoir identifié ses processus, son mode de fonctionnement.
  • Imaginer les défaillances potentielles, causes d’interruption, et les prévenir.
  • Prioriser les activités réputées essentielles pour son activité. 
  • Prévoir les moyens nécessaires pour assurer la continuité au vu d’objectifs déterminés.
  • Intégrer une phase transitoire de retour à la normale.
PCA

A ce stade, il est utile de préciser qu’un SMCA , même s’il peut intégrer le rappel de mesures de prévention, est bel et bien un plan d’actions en situation de crise.

Par exemple, pour la crise sanitaire de la Covid, un SMCA ne saurait être réduit à  une simple énumération des gestes barrières. En période de crise, un plan de prévention intégrant le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP), si utile qu’il ait été, laisse place à la gestion de cette crise. Celle-ci peut révéler l’échec de mesures préventives qui peuvent cependant être adaptées afin de réduire les effets d’un désordre. 

D’ailleurs, il convient de ne pas oublier le caractère temporel évolutif nécessitant justement de l’adaptabilité :

  • Mise à jour des prévisions hors temps de crise, anticipation.
  • Réactivité en temps de crise en comparant prévisions et réalité.

Un SMCA opérationnel, c’est :

La norme ISO 22 301 annonce des objectifs clairs dès son intitulé : « Sécurité et résilience ». Continuité d’activité = « capacité d’un organisme à poursuivre la livraison de produits et la fourniture de services dans des délais acceptables à une capacité prédéfinie durant une perturbation. »

Le but est donc de : 

  • Contribuer à la poursuite des objectifs stratégiques de l’organisation, à sa résilience et protéger sa crédibilité.
  • Réduire les risques juridiques et financiers induits.
  • Participer à la protection de l’écosystème avec des parties prenantes en interaction.
  • Renforcer la robustesse des processus internes et la confiance des acteurs.

Mais aussi, faire des choix stratégiques !

boussole
crédit : Bicanski Pixnio Creative Commons
La nécessité nous délivre de l’embarras du choix.”    Vauvenargues

La sélection de nombreux événements et de nombreuses mesures risque de s’avérer complexe. Aussi, pour ne pas être trop  » embarrassé « , il faudra certainement établir des priorités en définissant des critères pondérés. Ils seront liés à la probabilité de survenue d’un événement et à ses conséquences sur son organisation.  

Les principales étapes de la conception du SMCA

Comprendre son organisation, sa raison d’être, ses valeurs, ses objectifs et sa stratégie.
Le SMCA doit être aligné avec ces éléments et tenir compte :
Des attentes des parties prenantes qui seront associées à la réflexion (financeurs, usagers, personnels, fournisseurs, …).
Des contraintes réglementaires.

Définir un périmètre, un domaine d’application
Organisationnel = par directions, services,… (Organigramme)
Fonctionnel = par type de prestations.
physique = localisation géographique.

Engagement du leadership et communication
Une direction fortement engagée et un chef de projet légitime avec des correspondants.
Une communication tout au long de la démarche.

Planifier
Déterminer les risques et opportunités, les vulnérabilités et les moyens d’y faire face.
Prioriser vis-à-vis des enjeux (probabilité de survenue et conséquences, moyens de détection).
Arrêter des objectifs réalistes, éventuellement graduels selon les situations.
Intégrer la phase de retour à la normale (chronologie).

Allouer des ressources et documenter
Affectation de moyens humains, financiers, matériels, cellule de crise …
Ecrire et tenir à jour le système de management.

Tester
Programmer des exercices, les analyser et capitaliser ces expériences, améliorer, innover.

Réviser périodiquement
Tenir une veille réglementaire.
Revoir régulièrement les critères d’origine.

Mettre en œuvre en cas de survenue d’un évènement

Prévoir la désignation d’un pilote et, s’il était indisponible en mode dégradé, … de remplaçants aguerris !

Evaluer la performance (atteinte des objectifs initiaux).

Retour d’expérience (« Rex », « RETEX ») : analyser et capitaliser, améliorer, innover.

PC
Crédit : Sebastian Sikora Creative Commons

En résumé

Pour élaborer un SMCA performant, je démontre que :

• Je connais parfaitement la raison d’être et le fonctionnement de mon organisation.
• Je suis conscient des menaces pouvant perturber une marche normale.
• Je conçois un mode de fonctionnement dégradé en m’appuyant, le cas échéant, sur des référentiels.
• Je définis et valide ma stratégie par écrit.
• J’alloue des moyens.
• Je me tiens prêt à une mise en œuvre et je la teste.
• Je suis capable d’évaluer la performance de mon dispositif.
• Je sais m’adapter en corrigeant, si besoin, mes prévisions et mes actions.

Et surtout, je fais en sorte que le « Je » devienne « Nous », en communiquant et en associant toutes les parties prenantes nécessaires à ma, non, à  » notre  » démarche !

Des exemples pratiques d’actions pour les sapeurs-pompiers en période de crise

CS Oyonnax
Crédit : Jejecam, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons

Hypothèse (assez réaliste !) : le service est confronté à une pandémie qui a pour conséquence une atteinte du potentiel opérationnel (absentéisme) et une activité soutenue.

Actions non exhaustives pouvant être mises en œuvre :

  • Maintenir des actions préventives pour éviter une aggravation de la situation : gestes barrières, éviter le mixage des effectifs, …
  • Limiter les interventions aux seuls motifs urgents et réglementaires, renforcer la capacité de tri et de régulation des appels (renfort officier santé).
  • Annuler les actions de formation.
  • Définir des seuils d’absentéisme avec des effectifs réduits dans les engins, voire une re-couverture territoriale.
  • Cibler le maintien de fonctions supports essentielles : paye, maintenance matériels, achats et approvisionnements logistiques nécessaires à l’activité opérationnelle.
  • Sans oublier la mise en place d’une cellule de crise suivant des indicateurs périodiques. Ceux-ci devront permettre de réagir en temps réel et de rendre compte, tout en restant aligné avec sa raison d’être.

Une problématique : quand déclencher le dispositif de continuité d’activités ?

Nous l’avons dit : la méthodologie décrite s’applique quelle que soit la nature de la crise rencontrée. En l’absence d’injonction réglementaire, il est donc du ressort des responsables des organisations d’activer des mesures planifiées pour faire face à un événement perturbateur (cyberattaque, crise sanitaire, incendie,…).

La pandémie Covid actuelle qui nous frappe depuis le début 2020 à une échelle planétaire est cependant révélatrice d’une donnée à prendre en compte : la durée.

En effet, même le plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale » cible des phases assez courtes. Sur la base de phases définies par l’Organisation Mondiale de la Santé,  le stade 3 sur 4 prévoit une « vague » épidémique, avec un pic, répartie sur huit à douze semaines. La probabilité de successions de plusieurs vagues est quand même évoquée.

La continuité d’activité doit donc aussi être assortie d’une certaine souplesse pour s’adapter à des situations se succédant sur des périodes prolongées. Concevoir des réponses permet d’être prêt pour affronter un aléa en connaissant ses vulnérabilités, tout en conservant de l’agilité. C’est en cela qu’une approche globale par un « système de management » peut s’avérer plus judicieuse qu’un simple « plan » si ce dernier était trop procédurier ou trop rigide.

strating block
Santeri Viinamäki, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

En conclusion…

On comprendra aisément que l’on peut, dans une certaine mesure (et avec beaucoup de chance !), rester réactif en l’absence d’un SMCA ou d’un PCA.

Cependant, il sera plus aisé de réfléchir en amont et collectivement à la façon de s’organiser, hors période de crise. Pour rester dans le milieu de la sécurité civile, le dispositif  » ORSEC  » et la déclinaison de ses différents plans répondent à cette approche : anticiper et s’adapter !

Pour atteindre l’objectif de préserver au mieux le fonctionnement de son organisation et pour satisfaire les besoins élémentaires de ses clients ou de ses usagers, il ne faudra pas hésiter à être innovant, voire disruptif. L’association réelle des acteurs, appelés à mettre en œuvre ensuite les dispositions retenues en y adhérant, et une communication transparente (interne et externe) seront primordiales.

C’est notamment au prix de cette méthodologie holistique qu’un retour à la normale sera favorisé, rendant ainsi résiliente une organisation.

« Ce n’est pas le plus fort, ou le plus intelligent de l’espèce qui survit. C’est celui qui peut le mieux s’adapter au changement » 

 Charles Darwin

evolution wissens
Ldorfman – According to a work of Johanna Pung made for Wikimedia Deutschland, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons

Sources et crédits

Illustration titre article : image Klaxoon.com

Partenaires

Retour en haut
Aller au contenu principal