Parmi l’ensemble des engins-pompes que compte le parc incendie français et qui constitue l’élément de base de tout armement d’un centre de secours (ou d’un CPI), le Fourgon Pompe Tonne (FPT) reste le plus emblématique.
Ayant connu plusieurs évolutions et décliné sous différents modèles, il est le « vaisseau amiral » qui permet de répondre à une mission pour feu en secteur urbain et/ou rural. Il a donc vocation à être engagé sur les feux d’habitation, d’ERP, en ETARE, industries, etc…
Quelle est l’histoire de cet engin mythique ? Quelles sont ses évolutions et ses missions ? Rescue18 vous en dit plus …
NDLR : La #Team Rescue18 compte, depuis peu, un nouvel expert dans le domaine des engins incendie. Désormais, nous allons pouvoir vous proposer régulièrement des articles traitant des véhicules de sapeurs-pompiers.
Le FPT : d’un véhicule rural vers un véhicule urbain
Fer de lance de la lutte des feux d’habitation pour tous les sapeurs-pompiers de France, son image est associée au milieu urbain mais son histoire nous apprend que ce véhicule était avant tout conçu pour la lutte contre les incendies en secteur semi-ruraux ou ruraux.
Avant toute chose, nous allons nous arrêter sur le nom de ce véhicule :
- La carrosserie de type Fourgon est destinée au transport de marchandises. Dans le cas du FPT il s’agit des matériels essentiellement destinés à la lutte contre l’incendie. Ce type de carrossage permet de ranger ces matériels de façon aisée et optimale.
- La Pompe qui est caractérisée par un débit et une pression qu’elle restitue (on va en reparler un peu plus loin). Pour les FPT elle doit être obligatoirement entrainée par le moteur du véhicule (autopompe). Aujourd’hui cela nous semble normal, mais dans les années 50 cela a engendré des contraintes techniques importantes.
- La Tonne n’est ni plus ni moins que la réserve d’eau embarquée. Elle doit avoir un volume minimal de 2000 litres, elle est dotée de brise-lames (pour éviter le ballant et améliorer la tenue de route). Le terme de « tonne » est emprunté au monde agricole qui signifie : un réservoir, monté sur un châssis servant à transporter de l’eau. Le carrossage du véhicule déterminera sa forme, et le plus souvent elle sera parallélépipédique, forme la plus facile à carrosser et surtout qui permet d’embarquer plus de matériel.
Une mise en service progressive
Progressivement, le FPT va remplacer le Fourgon Pompe. Si vous me permettez un petit rappel historique bien avant la départementalisation, il n’y avait que des corps communaux.
Seules des communes « aisées et développées » pouvaient s’offrir et armer des matériels performants pour l’époque. Ces communes développées étaient dotées d’un réseau d’eau pouvant alimenter un véhicule incendie. Il n’y avait donc pas de nécessité absolue à doter les engins incendies d’une tonne à eau. Par contre, en zone rurale où les réseaux sont peu développés (débit pression) voire inexistants, il était impératif d’avoir un véhicule doté d’une capacité minimale d’eau mais également capable de se mettre en aspiration dans un cours d’eau.
Souvent les corps communaux constitués étaient dotés d’un FI (Fourgon Incendie) et sa MPR (Moto Pompe Remorquable) de 60m3/h pour les feux intramuros renforcés d’un CCI (Camion-Citerne Incendie) qui était un gros porteur d’eau (6000l). Ce départ constitué intervenait pour les départs feux extra-muros et était souvent appelé « la campagne ».
“Le fourgon pompe tonne est une autopompe utilisée en particulier par les services des secours et de lutte contre les incendies en secteurs semi-ruraux et ruraux.” Source RIM édition 1971.
VÉHICULES DE POMPIERS : LEUR ÉVOLUTION DEPUIS 1946 EN IMAGES
Un début de Normalisation
Matériels
Au sortir de la seconde guerre mondiale, les équipements incendie et les matériels sont obsolètes et anarchiques. De nombreux véhicules ayant servi durant ce conflit sont recyclés, notamment les engins laissés par les américains : Dodge, GMC… Il était urgent d’équiper les corps (communaux) de sapeurs-pompiers et d’harmoniser les matériels. La première norme NF S 61515 élaborée par l’AFNOR (Association Française de NORmalisation) a vu le jour en 1953. Elle proposait que le véhicule soit doté de :
- Une cuve de 2000L à 3000L appelée « tonne » ou « citerne » dans notre jargon ;
- Une pompe entrainée de 1000l/15b (60m3/h) dotée d’un orifice de refoulement de diamètre 100mm, de deux orifices de 65mm et un de 40mm. Cette dernière devait être capable de puiser de l’eau dans un point d’eau à une hauteur géométrique de 3m en conservant ses performances débit/pression ;
- Un dévidoir tournant, doté de 80m de tuyaux semi-rigide de diamètre 23mm et d’une lance. Il s’agit de la fameuse lance du dévidoir tournant (LDT) plus communément surnommée « pissette » ;
- 200m de tuyaux de diamètre 45mm ;
- 200m de tuyaux de de diamètre 70mm ;
- 2 dévidoirs mobiles dotés de 200m de tuyaux de diamètre 70mm ;
- De matériels de sauvetage et de reconnaissance (échelle à coulisse et à crochets, un cordage ancêtre du LSPCC) ;
- Les ARI compléteront cette norme dans les années 80.
- Il pouvait être doté d’un châssis routier ou hors chemin ;
Une cabine 8 places accueillant les personnels suivants :
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un chef d’agrès ;
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deux équipes de trois personnels, « chef, sous-chef, servant ». Le chef tenait la lance, le sous-chef aidait le chef et le servant manœuvrait les pièces de jonctions. N’oublions pas que tous les matériels pesaient lourd et étaient encombrants. Pour avoir un débit de 500l/min il fallait utiliser des tuyaux et lances de 70 ;
- un conducteur.
-
Missions
La dotation en matériels de cet engin lui permettait de remplir les missions suivantes :
- Reconnaissances ;
- Sauvetages et mises en sécurité ;
- Attaquer les feux naissant au moyen de LDT ;
- Etablir :
- quatre petites lances 40/14 (250l/mn), manœuvrées par les chefs et sous-chefs ;
- deux grosses lances « 60/18 » (500l/mn) ; manœuvrées par les chefs d’équipe ;
- éventuellement une lance 100/25 (1000l/min). Ces lances étaient peu communes et armaient souvent les engins qui devaient défendre des sites particuliers. Cette lance dite » grande puissance » ou » LGP » était manœuvrée par les deux chefs et deux sous-chefs.
L’évolution de l’habitat va modifier l’intensité et la technicité des feux, obligeant sans cesse les sapeurs-pompiers à repenser leurs techniques et matériels. Malgré tout, on peut constater que nos aïeuls avaient bien pensé ce véhicule car l’armement type en matériel d’un fourgon de 1953 est très proche du standard actuel.
Évolutions à travers quelques modèles emblématiques
Loin d’être exhaustive, voici quelques modèles qui auront marqué l’histoire du FPT. On notera l’évolution constante du châssis, de la carrosserie et de l’ergonomie.
Des années 60 à 80…
Plusieurs générations de Berliet
FPT Berliet GLB19 de 1957 ; ce véhicule était doté d’un moteur essence Berliet 4 cylindres en ligne, 4900 cm3. Il développe 100 ch. La vitesse maximum était d’environ 70 km/h. Il transporte 2500 litres d’eau, et est doté d’une pompe Berliet PA 82 de 60 m3/h. Ce véhicule était également en service chez les Marins-Pompiers en version PS cabine torpédo (cabine découverte).
On notera que ce véhicule est doté d’un gyrophare orange. En 1964 les véhicules de police, gendarmerie et des sapeurs-pompiers ont obligation d’en être dotés. C’est également en 1964 que les gyrophares bleus équipent les ambulances et dépanneuses. C’est en 1971 que les véhicules de secours prioritaires ont obligation d’avoir des gyrophares bleus. En 1972, ces derniers devront être visibles sur 360°, ce qui explique que certains véhicules sont équipés de deux gyrophares. Cette règle est toujours en vigueur.
L’emblématique série GAK
Un FPT Berliet GAK est produit à partir de 1960. La série 17H puis 20H sera destinée à la lutte contre les incendies. Tous deux sont équipés du moteur essence 6-cylindres. Sa puissance atteindra 215 chevaux (158KW) pour les plus puissants. Le choix d’une motorisation essence est dû au fait que les moteurs diésel de l’époque ne permettaient pas de répondre aux normes en vigueur (rapport poids/puissance). Le GAK 20H restera en production jusqu’en 1971.
Il transportait 8 personnels dans une « cabine relaxe » qui était une cabine grand luxe pour l’époque. On notera l’absence de support d’ARI qui n’étaient pas encore obligatoires. Les premiers ARI seront d’ailleurs chargés dans des caisses se trouvant dans les coffres latéraux et leur nombre était limité. Le poids total autorisé en charge (PTAC) de ce fourgon était de 10T.
Ce type de fourgon va être progressivement remplacé à partir de 1974 par le célébrissime Berliet 770 KB 6.
Puis celle des KB
Ce fourgon est le premier à être doté d’un carrossage « compact » avec un équipement dans le prolongement de la cabine. Ce qui lui donne un style « révolutionnaire » pour l’époque mais offre également la possibilité d’augmenter sa capacité d’emport de matériels. Néanmoins, les options étaient limitées. Coffres à portes ou rideaux, pompe haute pression et pour les plus riches une boite automatique.
Il est développé par la branche incendie de la société Berliet pour le châssis et Guinard pour la pompe. Pour la petite histoire, cette branche deviendra en 1978 la société CAMIVA ce qui explique le grand nombre de 770KB 6 produit par cette société. La société CAMIVA équipera pendant de longues années ces engins pompe de pompes BG (Berliet/Guinard).
Les sociétés Maheu-Labrosse, Sides, entre autres carrosseront également ce châssis.
Ce véhicule est le premier à être doté de série d’un 6 cylindres diesel, moteur doté de plus couple. Cette motorisation lui permet d’atteindre la vitesse de 90km/h. Le PTAC est porté à 12T, soit 2 tonnes supplémentaires par rapport à son prédécesseur et lui permettra d’avoir une capacité d’emport d’eau de 3000l.
Ce véhicule sera produit à plus de 1600 exemplaires jusqu’en 1986.
Ce modèle sera tellement fiable et apprécié par nos sapeurs-pompiers que beaucoup de SDIS n’hésiteront pas à les reconditionner. Certains étaient toujours en service en 2020.
Des années 80 jusqu’aux 2010…
Dans les années 80, la société RVI qui a absorbé la société Berliet et Saviem, va développer les séries G et M.
Cette série d’un PTAC de 13T est plus puissante et est capable d’entrainer des pompes de 2000l/15b qui deviendront la norme à la fin des années 90. Plus puissante, plus rapide car elle atteint la vitesse symbolique de 100km/h, elle est également plus spacieuse.
Cette version viendra s’étoffer avec l’arrivée du G270 Manager qui gagne en puissance avec un PTAC de 14T mais surtout en confort avec une cabine plus haute et un plancher plus bas. On pourra noter que le carrossage proposé par le Berliet 770 KB 6 est le carrossage le plus courant de nos jours. Néanmoins, un concept appelé « cabine intégrée à l’équipement » va faire son apparition dans les années 2000.
De nos jours
Ce véhicule est 100% français ! Châssis Renault Trucks et équipement Gimaex Trucks and Fire. Ce type de carrossage est souvent réalisé par les équipementiers Allemand Rosenbauer ou Magirus.
Ce type de carrossage permet d’avoir des véhicules plus compacts et plus spacieux, ce qui est gage de confort et d’ergonomie pour les personnels. On notera également que ce véhicule est un « sept rideaux », soit 3 volumes latéraux et un volume pompe. Ceci permet de mieux répartir les matériels et surtout par famille.
Cette génération d’engin permet d’avoir un PTAC de 16T. Les puissances moyennes des FPT de nos jours sont de 300ch ou 220KW.
Actuellement, la norme impose que les FPT soient dotés au minimum d’une pompe 2000/15 équipée d’une autorégulation de pression. Le but de la régulation de pression est d’obtenir une pression constante en sortie de pompe. La régulation permet surtout de préserver la mécanique car elle contrôle :
- la surchauffe pompe ;
- le manque d’eau ;
- le risque de surpression (plus de 20 bars ;
- la surchauffe moteur et manque d’huile ;
- la survitesse ou sur régime.
Il peut être armé par 6 à 8 personnels soit deux ou trois équipes. Comme nous avons pu le voir, jusque dans les années 90, les FPT étaient toujours armés par deux équipes de trois personnels. L’évolution des matériels permet de nos jours de mener les mêmes actions avec autant d’efficacité le tout avec moins de personnels. C’est pourquoi de nombreux SDIS se sont orientés vers cette solution. De plus, la solution à 8 est impactante en terme financier car il doit y avoir autant d’ARI que de places assises.
La lance du dévidoir tournant ne mesure plus 82m mais 42m mais les débits eux aussi ont évolués passant de 57l/min à 150l/min.
Des systèmes de dosage électronique viennent compléter les équipements de nos fourgons. Ils permettent d’effectuer des dosages de un ou plusieurs produits, additifs et émulseurs. Ils permettent également d’obtenir des taux de concentration faible à partir de 0.2% et ne limitent pas en distance les établissements. Ces systèmes sont optionnels et se substituent au système de dosage mécanique qui, lui, est obligatoire.
Des systèmes d’assistance à la dépose des dévidoirs et les échelles amènent de l’ergonomie et évitent de la fatigue aux utilisateurs. Ils ne sont pas obligatoires mais se généralisent de plus en plus.
Le Fourgon Pompe Tonne peut se décliner en version légère. Ainsi le véhicule sera plus adapté aux hypercentres car l’engin est plus compact. Il y a aussi la version plus polyvalente le « FPTSR ». Ce type d’engin permet, avec un seul véhicule, d’effectuer des missions incendie et/ou de secours routier. Ces trois types d’engins sont définis par la même norme : NF S 61515.
Vers l’infini et au-delà…
On pourra constater qu’au fil des années le FPT a connu de nombreuses évolutions. Citons quelques exemples : aide à la conduite, boite de vitesse automatique ou robotisée, freins à disques, ABS, ESP, aide à la mise en œuvre des matériels, système de dosage électronique, éclairage de coffres…
L’évolution la plus notable reste la sécurité et la préservation de l’intégrité physique des intervenants : accès à la cabine plus aisé, emmarchements escamotables afin de pouvoir accéder plus facilement aux matériels, des éclairages de zone efficients, une signalisation lumineuse bien plus performante que les gyrophares dotés d’ampoules halogènes, balisages et silhouettages rétroréfléchissants couvrant de grandes surfaces et les contours des engins.
Acquérir un 770 KB dans les années 70 ne posait pas les mêmes questions qu’actuellement : souhaiter avoir un engin avec des rideaux ou des portes et éventuellement la haute pression à l’époque, et de nos jours, disposer de plus d’une centaine d’options.
L’exercice est donc des plus complexe et reste un compromis entre ce que souhaitent les utilisateurs, le Groupement Tech/Log et ce que permet l’enveloppe budgétaire allouée.
Néanmoins, on notera que nos aînés avaient bien pensé ce véhicule car l’armement type a peu évolué. Seules les évolutions techniques ont permis de faire évoluer les normes et de fait nos FPT. De nouvelles normes (EN 1846.1 . 2. 3) permettant de cadrer les types, classes, tonnage, la sécurité, la performance, et les éléments embarqués… vont aider à harmoniser le parc de véhicules incendie national.
La nouvelle décennie va être un nouveau tournant pour nos FPT avec l’abandon progressif des moteurs thermiques au profit de nouvelles motorisations. La société Rosenbauer, avec son RT, nous propose peut-être une des solutions d’avenir.
Ce qui est sûr, c’est que ces nouvelles technologies nous obligeront à repenser complètement la conception de nos fourgons.
Comme disait un vieux sage : « Le FPT idéal est celui dont le cahier des charges a été écrit en associant les utilisateurs, qui respecte les capacités financières de l’acheteur et qui leur donne ensuite satisfaction dans sa mise en œuvre et dans sa maintenance ». Je le rejoins totalement !
Pour conclure, je serais tenté de dire que le véhicule parfait n’existe pas, sauf peut-être celui que nous avons pensé et décrit lors de nos longues conversations passionnées au foyer de la caserne ou au fond de la remise. Mais ce véhicule reste un rêve de remisard ou de conducteur.
Crédits et sources : photo illustration SDIS 35