Dans la continuité de l’article consacré aux médailles des sapeurs-pompiers luxembourgeois et français, nous explorons aujourd’hui la manière pour nos deux pays d’honorer les actes de courage. Il sera donc à nouveau question ici de phaléristique.
Le courage : comment le définir ?
Comme en témoignent actuellement les présentoirs des librairies, le thème du courage a inspiré récemment de nombreux auteurs, au point même de le mettre en exergue dans les titres des ouvrages concernés. Citons, sans caractère exhaustif :
- Eloge du courage de Jean-Claude Gallet et Romain Gubert (Grasset)
- L’équilibre est un courage de Pierre de Villiers (Fayard)
- Le courage de la nuance de Jean Birnbaum (Seuil)
Le courage est une disposition morale qui permet d’entreprendre des choses difficiles. Il permet d’affronter des situations dangereuses, en surmontant ses peurs. L’étymologie du mot « courage », du latin « cor », se confond avec le cœur, siège des sentiments tel que décrit par Platon. Cette origine linguistique commune est illustrée, par exemple, en langue bretonne où le mot désignant le cœur ou le courage est le même : « Kalon » !
Le terme de « dévouement », lui, pourrait apparaître comme une valeur moindre vis-à-vis du courage. Il se limiterait ainsi au sens de servir, de se consacrer à une cause. Sa définition comprend pourtant, également, une notion de sacrifice.
Sans l’opposer à une forme de courage « intellectuel », le courage du sauveteur est souvent assimilé à un courage « guerrier », à de la bravoure. Il représente souvent un « Graal » pour le sapeur-pompier qui est ainsi valorisé, en permettant à une victime de réchapper d’une mort certaine. Cette raison d’être et cette valeur sont intemporelles, que ce soit avec l’exemple du caporal Thibault en 1868 , ou avec celui des prouesses réalisées lors de l’incendie de la rue Erlanger en février 2019. Le point commun de ces actions est leur aspect périlleux, forçant Les sauveteurs à repousser leurs limites, notamment avec l’usage des mythiques échelles à crochets.
« Le courage n’est rien sans la réflexion »
Euripide.
Le sauveteur peut donc être amené à mettre directement en péril son intégrité physique. Les devises propres aux sapeurs-pompiers, militaires ou civils, rappellent cet engagement : « Sauver ou périr », « Courage et dévouement ». Que ce soit la répétition des gestes, les automatismes, le maintien et le perfectionnement des acquis, mais aussi la capacité d’adaptation, ces éléments demeurent des gages de succès des missions. Cette approche peut d’ailleurs être à l’origine d’une distinction entre un acte réalisé par un sauveteur patenté ou par monsieur « Tout-le-monde ».
Côté français
Les origines
Si les médailles d’honneur des sapeurs-pompiers sont plus que centenaires, celles récompensant les actes de courage sont encore plus anciennes. Leur origine est fortement liée au milieu maritime. En effet, sa création est attribuée au roi Louis XVIII en 1820, afin de décerner une médaille officielle aux marins ayant sauvé des personnes ou des biens. La décoration reçoit alors l’appellation de « médaille de Sauvetage », ou de « médaille des Belles Actions ». Elle reste actuellement la médaille d’honneur la plus ancienne encore attribuée.
Cette origine maritime et l’intrépidité de certains sauvetages dans les flots déchaînés, font écho à la création de la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés (SCSN) en 1865 et à celle des Hospitaliers Sauveteurs Bretons (HSB) en 1873. La fusion de ces deux entités donnera naissance à la fameuse Société Nationale de Sauvetage en Mer (SNSM).
« Bref, seul rescapé d’une famille ébranlée par les guerres coloniales, les divorces et les accidents de la route : Papa, Adolphe Amédée de la Foy dit « Le président ».
Un personnage : il collectionne les pendules et les contraventions, les déceptions sentimentales et les décorations ; il les a toutes sauf la médaille de sauvetage, la plus belle selon lui, mais la plus difficile à décrocher quand on n’est pas Breton. »« Les tontons flingueurs ». Film de Georges Lautner ; dialogues de Michel Audiard
La médaille
En 1831, son bénéfice est étendu à d’autres ministères que celui de la Marine (Intérieur et Travaux publics). Le ruban tricolore fait son apparition pour cette médaille avec un échelon unique (Argent).
Des évolutions diverses interviendront pour aboutir au dispositif actuel avec la « médaille d’honneur pour actes de courage et de dévouement ». Un décret de 1970 en déléguera l’attribution aux préfets des départements.
Sa forme actuelle est définie par un décret de 1950.
La médaille est un module de 27 mm, suspendue à un ruban tricolore de 3 cm dont les bandes sont verticales et égales entre elles. Ces dimensions sont inférieures à celles de la plupart des décorations et censées faciliter les ports simultanés de plusieurs de ces décorations (voir plus loin).
L’avers de la médaille représente une femme debout tenant des palmes et couronnes, et entourée par des scènes d’actions de sauvetage. Le mot DEVOUEMENT y est inscrit.
Le ruban porte une rosette tricolore pour la médaille d’or.
Elle comporte désormais cinq échelons :
bronze / argent de 2e classe / argent de 1re classe / vermeil / or
Les barrettes (« dixmudes ») sont surchargées :
D’une agrafe* en argent pour la médaille d’argent de 2e classe ;
De deux agrafes en argent pour la médaille d’argent de 1re classe ;
D’une agrafe en vermeil pour la médaille de vermeil ;
D’une rosette tricolore de 1 cm de diamètre pour la médaille d’or.
*L’agrafe représente une étoile à cinq branches.
Pour être précis, on pourrait en fait, considérer non pas cinq, mais sept échelons. En effet, la médaille de bronze est précédée de deux niveaux de rang inférieur :
- La lettre de félicitations
- La lettre de félicitations avec mention honorable
Ces notions étaient apparues pour la première fois en 1858, le ministre de l’Intérieur de l’époque considérant que les médailles devaient honorer des actes réalisés au péril de la vie du sauveteur. Ces « lettres » complétaient donc le dispositif pour récompenser des actes honorables, mais sans ce caractère exceptionnel de mise en danger extrême. Cette notion est importante car elle a perduré avec le texte en vigueur, mais elle est malheureusement parfois perdue de vue.
Notons que le ruban tricolore (mais pas la médaille) est strictement identique à la médaille d’honneur des Affaires étrangères. Cette dernière récompense des services accomplis au service de l’action extérieure de la France, et plus particulièrement, des fonctionnaires avec des conditions d’ancienneté et des « actes de bravoure et de dévouement ».
Enfin, l’origine maritime n’est pas oubliée. Le ruban et la barrette comportent une ancre de marine rouge pour les personnels de la marine nationale et de la marine marchande (dorée pour l’échelon or).
D’autres décorations utilisent aussi une couleur de ruban inspirée de notre drapeau tricolore mais de façons différentes.
Mentionnons deux particularités notables :
Contrairement à la règle établie, pour la majorité des décorations et des ordres qui veut que, seul l’échelon (ou le grade) le plus élevé soit porté, les décorés de plusieurs médailles pour actes de courage les portent simultanément (règle reproduite pour la médaille de la sécurité intérieure). Chaque médaille correspond en effet à un acte distinct.
Cette décoration peut également être décernée collectivement aux unités d’intervention et de secours. Les personnels, en service au moment des faits récompensés, ont alors le droit au port d’une fourragère tricolore. Ce privilège personnel accompagne le sapeur-pompier qui rejoindrait un autre corps. Muni d’un diplôme, il apposera sur sa fourragère un insigne du précédent corps.La notion de cet insigne réduit et numéroté a disparu avec l’arrêté du 8 avril 2015 relatif aux tenues.
Cette distinction collective se matérialise notamment par ladite médaille épinglée sur la cravate des drapeaux réglementaires des forces de sécurité civile. La récompense n’est pas graduelle. L’échelon attribué est lié à la teneur des actes honorés. Désormais, un drapeau décoré de trois médailles d’or confère le droit au port d’une fourragère tricolore et or. C’est actuellement, et uniquement, le cas de la Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris.
La fourragère méritera à elle seule un article !
Les critères d’attribution
Selon les termes du texte :
- Lettre de félicitations proposée comme récompense lorsqu’il s’agira d’un premier fait.
- Mention honorable réservée pour des actes déjà véritablement méritoires.
- Médaille de bronze, si le sauveteur a très réellement exposé sa vie, ou bien si, ayant couru des dangers moindres, il est déjà titulaire de la mention honorable et de la lettre de félicitations.
- Médaille d’argent (2e et 1e classe) exclusivement attribuée aux titulaires de la médaille de bronze, qui auraient à nouveau fait preuve de courage et d’abnégation.
- Médaille de vermeil décernée avec une extrême réserve, pour des actes d’une grande intrépidité et lorsque celui, en faveur de qui elle aura été sollicitée, aura obtenu au moins deux médailles d’argent.
- Médaille d’or, que pour des cas extrêmement rares, et lorsqu’il s’agira de décerner un témoignage éclatant de reconnaissance publique à une personne qui aura rendu, à plusieurs reprises et au péril de sa vie, des services véritablement exceptionnels à ses concitoyens.
On retient :
A partir de l’échelon bronze de la médaille, le sauveteur doit :
Avoir sauvé une ou des personne(s) en danger de mort ET avoir risqué sa propre vie.
Notion rappelée par la circulaire 70-208 du 14 avril 1970, faisant suite au décret du 17 mars 1970 attribuant aux préfets tous les pouvoirs en matière d’attribution de la médaille.
Côté luxembourgeois
Les origines
Tout comme la médaille du Mérite de la Sécurité civile concernant essentiellement les agents du Corps Grand-Ducal d’Incendie et de Secours, la médaille d’Honneur pour Acte de Courage et de Dévouement a une histoire toute récente. Elles ont d’ailleurs été créées par le même Arrêté grand-ducal du 15 mai 2020.
La médaille
Elle comporte trois niveaux dénommés « classes » avec, par ordre décroissant :
- La médaille en vermeil avec couronne (première classe)
- La médaille en vermeil (deuxième classe)
- La médaille en argent (troisième classe)
Le ruban, rouge foncé, est d’une largeur totale de 37 mm, avec, à chaque bord, un liseré tricolore rouge-blanc-bleu de 6mm de largeur. La médaille a un diamètre de 35 mm. L’avers porte une croix à quatre branches, « anglée » de cinq rayons. Il comporte l’inscription « COURAGE ET DÉVOUEMENT ». Le médaillon central arbore le lion du Grand-Duché.
La médaille de première classe est surmontée d’une couronne grand-ducale.
Des barrettes aux couleurs du ruban sont réservées aux porteurs d’uniformes (les autres décorés peuvent porter un insigne de boutonnière).
Elles sont alors surchargées :
Pour la première classe d’une couronne grand-ducale d’or,
Pour la deuxième classe d’une étoile à cinq « rais » d’or,
Pour la troisième classe d’une étoile à cinq « rais » d’argent.
Tout comme pour le dispositif français, les attributaires de plusieurs médailles les portent simultanément.
https://twitter.com/cgdis6/status/1354821876149755904?s=20
Les critères d’attribution
La médaille de première classe est attribuée avec une grande réserve pour les actes d’une grande intrépidité, ainsi qu’aux titulaires de la médaille d’honneur en vermeil pour de nouveaux faits. Elle peut être attribuée à titre posthume.
La médaille de deuxième classe est attribuée aux personnes ayant sauvé une vie, ou tenté de sauver une vie en risquant leur propre vie, ainsi qu’aux titulaires de la médaille d’honneur en argent pour de nouveaux faits.
La médaille de troisième classe est attribuée aux personnes ayant sauvé une vie, ou tenté de sauver une vie en faisant preuve de courage et d’abnégation.
Conclusion
Nos deux modèles nationaux comportent de larges similitudes : des critères d’attribution liés à la mise en danger avérée du sauveteur, le port simultané des différent(e)s échelons / classes, le niveau le plus élevé pouvant être décerné à titre posthume.
Le modèle français pourrait utilement s’inspirer de son jeune homologue luxembourgeois. Il mériterait d’être révisé et simplifié car la complexité d’appréciation des actes accomplis est amplifiée par un nombre important, voire démesuré, de niveaux (7).
« Ni trop, ni trop peu. Ni excessif, ni dérisoire ! »
Ce qui est certain, c’est que côté français, les sauveteurs accordent souvent une importance prédominante à cette décoration, au point de la préférer à des médailles d’un rang de préséance plus élevé. Elles témoignent en effet d’un acte remarquable et valeureux qui donne du sens aux missions. Son attribution ne doit donc pas être sous-estimée ou dévalorisée, et respecter les critères définis.
Que penser alors des arrêtés du 26 mai 2020 de la préfecture de police de Paris ? C’est à dire, ceux décernant des médailles d’honneur pour actes de courage et de dévouement, échelon bronze, dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de Covid. Si méritants soient-ils, les cheminots, ambulanciers, secouristes, médecins, infirmiers, assistants de régulation, psychologues, sapeurs-pompiers, et autres conseillers, ont-ils réellement risqué leur vie en participant aux opérations de transferts inter-hospitaliers ? Le nombre impressionnant de récipiendaires (près de 300) est-il réaliste ? Certes, le projet annoncé de réactivation d’une médaille d’honneur des épidémies n’est pas abouti, mais il est permis de douter, dans ce cas précis, de l’adéquation entre la prise de risques et la récompense accordée.
Finalement, dans le domaine présentement observé, comme dans d’autres, et comme le suggèrent les ouvrages cités en début d’article, il convient de rechercher des formes de nuances et d’équilibres. Cette quête, c’est aussi faire preuve de discernement et … de courage.
Rescue18 tient à remercier tout particulièrement Paul Schroeder, directeur général du CGDIS, pour nous avoir communiqué les informations très complètes et les illustrations concernant la partie luxembourgeoise.
Et pour aller plus loin sur le thème de la phaléristique et des sapeurs-pompiers, nous vous recommandons la lecture du mémoire de Master du regretté commandant Bruno Kohlhuber (SDIS 06), mort en service commandé en octobre 2020 dans la vallée de la Vésubie, lors de la tempête Alex. Nous pensons à lui.