Le Feu – partie 5 : La toxicité aiguë des fumées d’incendie

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La compréhension et l’étude de la mécanique du feu sont parmi les premières formations que le sapeur-pompier reçoit lors de son instruction. Pour autant, ces connaissances nécessitent une remise à jour régulière car cette science est évolutive et permet ainsi aux Soldats du Feu de mieux appréhender leur plus fidèle ennemi.

RESCUE18 va donc s’attacher à vous proposer plusieurs articles en la matière et de façon progressive ; qu’ils soient basiques ou bien techniques…


Lors d’un incendie en espace clos, ce ne sont pas les flammes qui représentent le principal risque pour les victimes et les personnels engagés. La majorité des victimes qui décèdent sur feu, n’ont jamais été en contact avec le foyer. Elles décèdent à distance, asphyxiées par les fumées d’incendie.

Quelle est leur composition ? Pourquoi ces fumées sont-elles si dangereuses ? Eléments de réponse dans ce nouvel article dédié de la série feu. 


Quelques chiffres…

En France, les sapeurs-pompiers réalisent plus de 300000 interventions pour incendie chaque année, dont prés de 70000 feux d’habitation. Les incendies domestiques font environ 16000 victimes par an : 12000 hospitalisations, 400 décès dont la moitié survient sur les lieux d’intervention. 

Des interventions marquantes

Certains sinistres ont eu de lourds bilans humains du fait de la propagation des fumées toxiques alors que les flammes avaient été rapidement maitrisées. C’est la cas de l’incendie à L’Hay les Roses en 2005, où un feu de boîtes aux lettres a entrainé la mort de 18 personnes, toutes intoxiquées par les fumées qui se sont propagées dans la cage d’escalier.

Plus récemment aux États-Unis, l’incendie d’un navire de plongée a fait 34 morts, tous décédés des suites de l’inhalation des fumées de l’incendie.

https://www.nbcnews.com/news/us-news/coroner-smoke-inhalation-killed-34-california-dive-boat-fire-n1212661

Que contiennent les fumées d’incendie ?

Les fumées d’incendie forment un milieu hétérogène et mobile dont la composition varie en fonction de la température, de la distance du foyer, de la nature du combustible mais aussi de la qualité de la combustion selon le niveau d’oxygène ambiant.

Elle évolue également au cours des différentes phases de naissance, de développement, de propagation puis d’extinction du feu.

Son analyse précise tant en laboratoire qu’en situation réelle est donc rendue très complexe. Mais, les études récentes ont permis d’identifier les principaux composants que l’on peut classer en deux familles :

  • Les composés irritants : ils sont très nombreux et dépendent de la nature des matériaux combustibles. Parmi eux, on retrouve des composés organiques carbonés (formaldéhydes, acroléines…) des dérivés du chlore, de l’azote, du soufre. 
  • Les composés asphyxiants : les deux principaux sont le monoxyde de carbone (CO) et l’acide cyanhydrique (HCN) qui entraînent respectivement un blocage du transport et de l’utilisation de oxygène au sein de l’organisme.

Les différentes phases des fumées

  • Phase gazeuse : gaz toxiques avec plus de 150 principes actifs retrouvés dans le sang de personnes décédées lors d’un incendie
  • Phase particulaire : les suies
  • Phase acqueuse : vapeur d’eau 

Mécanismes de toxicité des fumées

Le pouvoir irritant des fumées

Le pouvoir irritant des fumées d’incendie est double. Il est lié :

  • d’une part, à la forte température (une pièce en proie aux flammes atteint 600 °C en cinq minutes) 
  • d’autre part aux composés irritants qu’elles contiennent. 

L’inhalation des fumées chaudes est à l’origine de lésions directes de l’ensemble des voies respiratoires, des cavités nasales jusqu’aux alvéoles pulmonaires. L’installation d’un tableau de détresse respiratoire n’est pas toujours immédiate, ce qui justifie de conduire un triage rigoureux.

Des signes cliniques simples sont à rechercher pour confirmer ou au contraire éliminer une suspicion d’inhalation de fumées d’incendie. Tout patient présentant des traces de suies visibles au niveau de la bouche ou des cavités nasales est un patient qui a inhalé des fumées d’incendie : même si son état initial est rassurant,  il devra être transporté en milieu hospitalier pour une surveillance de l’évolution de son état respiratoire.

SIGNES CLINIQUES D’UNE IRRITATION DES VOIES RESPIRATOIRES
  • ORL : modification de la voix (dysphonie).
  • Oculaires : irritation douloureuse avec rougeur des muqueuses (hyperhémie conjonctivale).
  • Respiratoires : toux, crachats noirâtres, respiration bruyante, difficultés respiratoires.

Le pouvoir asphyxiant des fumées

Lors d’incendie en espace clos, la concentration ambiante en oxygène diminue (hypoxie ambiante). L’organisme dispose alors d’une quantité moins importante d’oxygène. Mais il est également exposé à des gaz asphyxiants dont le monoxyde de carbone et les cyanures. Tout concourt donc à limiter voire bloquer l’apport en oxygène aux cellules de l’organisme : on parle de cascade hypoxique.

SIGNES CLINIQUES D’UNE ATTEINTE ASPHYXIQUE DE L’ORGANISME : SIGNES GÉNÉRAUX NON SPÉCIFIQUES 
  • Neurologiques : céphalées, confusion, agitation, troubles de la vigilance, perte de connaissance, convulsions, coma.
  • Circulatoires : chute de la pression artérielle pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiaque.
  • Métaboliques : augmentation des lactates (dosage délocalisé réalisé sur les lieux par les équipes médicales).
Monoxyde de Carbone (CO)

Le monoxyde de carbone est responsable d’intoxication en milieu clos, le plus souvent liée à des appareils de chauffage défectueux. Lors d’un incendie, le manque d’oxygène conduit à un phénomène identique de combustion incomplète. Le CO est donc un gaz que l’on retrouve massivement dans les fumées d’incendie. 

Mais dans ce contexte, il s’agira toujours de co-intoxication avec d’autres gaz asphyxiants et irritants. 

Acide Cyanhydrique (HCN)

Les cyanures proviennent de la combustion de nombreux composés naturels  (laine, caoutchouc ..) ou synthétiques (polyuréthane,  cellulose, polyamides…). 

Ils agissent au niveau des cellules en bloquant les mécanismes de respiration cellulaire. Les cellules ne peuvent plus utiliser l’oxygène pour synthétiser leur énergie. D’autres voies métaboliques sont alors utilisées par l’organisme conduisant à la synthèse de lactates, que l’on peut doser en pré-hospitalier sur prélèvement sanguin. Un taux élevé de lactate est un signe biologique d’une intoxication aux cyanures

Pour tout comprendre : la cascade hypoxique par Drakkar !
fumées,toxicité
Le monoxyde de carbone (CO) prend la place de l’oxygène (O2) au niveau de l’hémoglobine (transporteur d’O2)
fumées,toxicité
De moins en moins d’O2 arrive au niveau des cellules de l’organisme
fumées,toxicité
Le cyanure bloque l’utilisation par la cellule, du peu d’O2 qui réussit à arriver jusque là
fumées,toxicité
La cellule manque cruellement d’oxygène : c’est l’asphyxie !

Conséquences opérationnelles

Prise en charge des victimes

Mise en sécurité individuelle

Dans un contexte d’incendie en espace clos, les victimes exposées aux fumées  se retrouvent en quelques minutes dans l’incapacité de s’échapper : ambiance enfumée diminuant la visibilité, irritation douloureuse des yeux affectant la vision, manque d’oxygène entraînant une hyperventilation qui va favoriser l’inhalation des composés toxiques et asphyxiants.

Savoir qu’en cas d’incendie, il ne faut pas tenter de fuir si la cage d’escalier est enfumée, ni emprunter un ascenseur, qu’il faut fermer les portes, se manifester à une fenêtre, progresser au sol sont autant de fondamentaux de la mise en sécurité individuelle, qu’il est important de transmettre au plus grand nombre.

Sauvetage

Lorsqu’une victime finit par être bloquée dans les fumées malgré une réaction initiale adaptée, seule l’extraction par un sauvetage rapide peut  la sauver de l’asphyxie. 

Prise en charge secouriste

Elle doit être réalisée dans une zone sécurisée : elle s’attachera à évaluer les fonctions vitales et à administrer rapidement de l’oxygène en cas de détresse. 

Prise en charge médicale

L’un de ses principaux enjeux est de trier les patients. Si ce triage est aisé en présence de signes de détresse, il faudra être particulièrement vigilant avec les patients initialement stables à risque d’aggravation dans les heures qui suivent. Il s’agira de rechercher les signes indirects d’inhalation de fumées d’incendie : présence de suie au niveau des narines ou de la bouche,  modification de la voix, céphalées.

Triage par mesure du CO 

La mesure du CO expiré ou de l’HbCO transcutanée peuvent être un moyen de trier les patients valides ne présentant pas de détresse immédiate.

Témoignage d’un opérateur 18/112 qui guide une victime prisonnière des fumées : tout se joue en quelques minutes !

Existe-t-il un traitement spécifique de l’intoxication aux fumées d’incendie ?

Le traitement est d’abord celui des détresses et l’oxygène à haut débit est le médicament de base pour tout patient exposé aux fumées d’incendie. Lorsque la situation évoque une intoxication aux cyanures (convulsions, coma, hypotension, arrêt cardiaque) un antidote peut être administré. Il s’agit de l’hydroxocobalamine (CYANOKIT®). 

Tous les véhicules médicalisés ne disposent pas de CYANOKIT®. Aussi, devant toute suspicion d’intoxication aux cyanures avec signes de gravité et plus largement devant tout incendie d’habitation avec notion de victimes, l’équipe médicale doit anticiper l’acheminement de CYANOKIT® sur les lieux.

CYANOKIT : le remède miracle ?

  • Molécule : hydroxocobalamine (forme naturelle de la vitamine B12) 
  • Présentation : flacon de 5g de poudre dans un flacon de 250mL
  • Reconstitution : ajout de 200mL de NaCl 0,9% 
  • Indication : toute suspicion d’intoxication aux cyanures
    • Arrêt cardiaque dans un contexte toxique
    • Hypotension artérielle avec troubles neurologiques 
  • Posologie :
    • Adulte : 5g sur 15min renouvelable une fois, 10g d’emblée en car d’ACR
    • Enfant : 70mg/kg, 140mg/kg en cas d’ACR
  • Mécanisme d’action : liaison stable et irréversible aux ions cyanures neutralisant le bloquage de la respiration cellulaire.
  • Effets attendus : restauration de la tension artérielle, RACS (Retour à une Activité Circulatoire Spontanée) en cas d’ACR.  
  • Disponibilité : médicament disponible uniquement au sein des véhicules médicalisés et parfois au sein de véhicule de renfort matériel.

Pour aller plus loin…

Sécurité des binômes engagés

Lors d’une intervention pour incendie, les binômes engagés devront obligatoirement porter l’ensemble de leurs EPI et l’ARI capelé, pour leur permettre d’évoluer dans ce milieu chaud et toxique et accomplir les missions de reconnaissance, de sauvetage et d’extinction.

Reconnaissance de l’ensemble du volume

Le COS doit toujours garder à l’esprit que les reconnaissances concernent l’ensemble du volume. Les étages supérieurs font systématiquement l’objet d’une reconnaissance minutieuse à la recherche de potentielle victime n’ayant pu s’échapper.

Certains impliqués sont confinés dans des espaces préservés des fumées et leur évacuation, si elle doit avoir lieu, n’interviendra qu’après désenfumage complet des voies d’évacuation. D’une manière générale, la ventilation des locaux et des relevés toxicologiques au moyen d’un détecteur multi-gaz sont nécessaires avant de clôturer une opération.


Conclusion

Les fumées d’incendie contiennent des gaz chauds, irritants et asphyxiants qui sont responsables de la majorité des décès sur feu. 

Pour tenter de limiter ces décès, il est important de transmettre à la population (dès l’enfance) les règles de sécurité en cas de survenue d’un incendie dans un espace clos, pour rester autant que possible en sécurité loin des fumées, en attendant l’arrivée des secours. La présence de détecteur autonome avertisseur de fumées (DAAF) est obligatoire depuis mars 2011 : ils préviennent du danger, notamment en pleine nuit, pour permettre de s’échapper (70% des décès sur feu surviennent la nuit).

Sur le plan opérationnel, le risque des fumées doit être connu et parfaitement pris en compte du début de l’attaque jusqu’à la fin de la phase de déblai. 

Sur le plan médical, il s’agira de toujours considérer une victime sur feu comme potentiellement intoxiquée par les fumées, même si des lésions traumatiques et thermiques prédominent à la prise en charge initiale. 


Sources

  • https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Statistiques/Securite-civile/2018
  • https://www.santepubliquefrance.fr/docs/utilisation-de-la-methode-capture-recapture-sur-les-donnees-du-programme-de-medicalisation-des-systemes-d-information-pmsi-et-du-cepidc-pour-l-es
  • Effluents and Assessment of Toxic Hazards written by Abdulrhman M. Dhabbah,
    published by Journal of Analytical Sciences, Methods and Instrumentation, Vol.5 No.1, 2015
  • M. Stefanidou, S. Athanaselis & C. Spiliopoulou (2008) Health Impacts of Fire Smoke Inhalation, Inhalation Toxicology, 20:8, 761-766, DOI: 10.1080/08958370801975311 
  • Mécanismes de toxicité des fumées d’incendie (monoxyde de carbone et cyanures exclus) M. Labadie · L. Capaldo · A. Courtois · B. Mégarbane – Méd. Intensive Réa. (2016) 25:506-513 DOI : 10.1007/s13546-016-1212-5 
  • https://www.ema.europa.eu/en/documents/overview/cyanokit-epar-summary-public_fr.pdf

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