Le stress et le sapeur-pompier

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« Ce qui fait l’Homme, c’est sa grande faculté d’adaptation  »

SOCRATE

Le stress : de quoi parle t-on ?

Ces dernières années et notamment suite à la crise sanitaire liée au COVID, le contexte sociétal a majoré les émotions désagréables sur notre vie. Cette évolution s’est inexorablement manifestée par une augmentation du stress et de l’anxiété.

Une problématique récente ?

En mars 2022, l’IFOP (Institut français d’opinion publique) a réalisé une étude sur l’impact des situations contemporaines vécues (guerre en Ukraine, inflation économique, travail, COVID…) sur notre santé mentale. Le résultat est surprenant : 95% des français interrogés se déclarent stressés et/ou anxieux.

La corporation des sapeurs-pompiers n’échappe pas aux risques de stress ou d’anxiété. En effet, les intervenants de l’urgence y sont exposés sous plusieurs formes pour répondre aux sollicitations opérationnelles tout en faisant face aux évolutions sociétales. Ainsi, le sapeur-pompier doit disposer d’une capacité d’analyse, de réaction et d’adaptation pour remplir pleinement ses missions d’urgence en tout temps, en tous lieux. 

Un sujet d’études depuis plusieurs années déjà

En 2005, la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), en partenariat avec l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), a évalué l’impact des situations vécues comme stressantes sur le bien-être physique, psychique et social de ses personnels, ainsi que les stratégies d’ajustement utilisées pour y faire face. Un échantillon représentant 30% des sapeurs-pompiers opérationnels en service incendie a été interrogé. L’étude a permis de mettre en avant différents facteurs de stress, ses répercussions et les stratégies d’adaptation auxquelles les militaires franciliens ont recours. Les résultats de ce travail Stress et santé au travail chez les sapeurs-pompiers de Paris ont fait l’objet d’une communication au colloque « Le Stress et les Addictions » lors de la Journée « Santé et sécurité des Sapeurs-pompiers » organisée au Val-De-Grâce le 24 juin 2009.

Depuis vingt ans, les services d’incendie et de secours orientent leurs politiques de prévention en corrélation avec le rapport Pourny. Cet audit a été remis le 07 décembre 2003 par la mission sécurité des sapeurs-pompiers présidée par le colonel Pourny. Il avait été diligenté suite aux drames de Neuilly-sur-Seine et de Loriol durant l’année 2002, comprend 200 recommandations portant sur les structures, les procédures et l’équipement. Ce rapport a permis une avancée sur la reconnaissance de la dangerosité des missions confiées aux sapeurs-pompiers. Néanmoins, il s’est beaucoup plus focalisé sur leur santé physique et l’application du code du travail que sur leur santé mentale et leur bien-être psychologique.

En 2019, Jacques WITKOWSKI – alors directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), promulgue le plan santé, sécurité et de qualité de vie en service. Ce plan SSQVS propose 5 axes stratégiques pour s’adapter à l’émergence de nouveaux risques ou de conditions particulières d’exercice des missions. Sa maxime est : « assurer sa propre sécurité pour mieux garantir celle des autres »

stress pompier - Drakkar
stress pompier – Drakkar

Comment réagit le cerveau face à une situation stressante ?

Le cerveau reçoit des stimuli nerveux. Grâce à eux, il ordonne des réactions neurophysiologiques et biologiques. Lorsqu’il perçoit une situation de stress, il déclenche la sécrétion d’adrénaline. Cette hormone permet au corps de mobiliser au maximum ses forces afin de réagir rapidement.

Cette réaction a été nommée « fight or flight response » (réponse combat ou fuite) par Walter Bradford CANNON, un physiologiste américain. Face à une situation générant du stress, l’individu réagit physiquement. Soit il va combattre, soit il va fuire (instinct primaire de survie).

Ensuite, soit une phase de relâchement survient et l’organisme récupère, soit le stress persiste. Dans ce second cas, une phase de défense survient. L’hypothalamus active la sécrétion de cortisol. Cette hormone stéroïde permet d’assurer un taux de glucose élevé dans le sang pour nourrir le cerveau et les muscles (dont évidemment le cœur). En parallèle, elle a une action sur le métabolisme pour assurer le renouvellement des réserves d’énergie. Elle agit également sur le cycle circadien (nous verrons celui-ci un peu plus loin).

Cependant, si la situation stressante perdure, ou plus exactement si le cerveau (le cortex préfrontal pour être précis) continue de recevoir des informations de stress, l’organisme va fatiguer. En effet, ses ressources n’étant pas illimitées, il ne peut pas tenir un rythme très soutenu dans le temps.


Retour vers le passé

Pour comprendre l’impact et les origines possibles du stress au sein des services d’incendie et de secours, revenons quarante ans en arrière. Gilles MENGUAL, désormais Colonel de sapeurs-pompiers en retraite, a étudié les facteurs de stress chez les sapeurs-pompiers. Il les a développé dans le mémoire qu’il a rédigé pour l’obtention de son DUT Hygiène et sécurité en juin 1983, au sein de l’IUT Saint-Denis.

Tout d’abord, rappelons que la Sécurité civile a pour objet la prévention des risques de toute nature, l’information et l’alerte des populations ainsi que la protection des personnes, des biens et de l’environnement contre les accidents, les sinistres et les catastrophes par la préparation et la mise en œuvre de mesures et de moyens. Les sapeurs-pompiers sont, notamment pour la majorité de celles se déroulant sur le territoire national, chargés de ces différentes missions. Pour répondre à ce large spectre, nous trouvons parmi eux plusieurs statuts : des professionnels, des volontaires, des militaires ou encore des personnels administratifs, techniques et spécialisés.

Il y a donc plus de quarante ans, l’étude s’est principalement focalisée sur l’alerte, le cheminement jusqu’aux véhicules, l’intervention, la perturbation des rythmes biologiques et les autres facteurs. Regardons ces différents points de plus près.

L’alerte

Lors du déclenchement d’une alerte, un trouble cognitif peut-être actionné. C’est d’autant plus vrai pour un sapeur-pompier endormi. Son rythme cardiaque peut être propulsé de 60 à 120 battements par minute en une fraction de seconde, avec un réveil en sursaut causé par la sonnerie stridente de son récepteur individuel, plus couramment connu sous le nom de « bip ».

Il a été observé que le stress peut être plus important pour un sapeur-pompier qui réaliserait ses premières interventions ou qui aurait des responsabilités à endosser. En outre, la fatigue liée à la multitude des départs ou à l’accumulation des astreintes peut aggraver ce stress. Nous pensons évidemment au personnel qui doit rejoindre les lieux de l’intervention. Mais il ne faut pas oublier l’opérateur du traitement de l’alerte qui reçoit la demande de secours. Il doit mobiliser ses ressources pour recueillir le maximum de renseignements précis et orienter le requérant, lui-même généralement en état de stress plus ou moins canalisé.

Le cheminement jusqu’aux véhicules

Une fois alerté, le sapeur-pompier doit rejoindre son engin de secours en s’étant préalablement équipé. Lorsqu’il est déjà en caserne, des aménagements de locaux peuvent exister. Nous pouvons citer la fameuse perche du pompier qui nécessite de se confronter au vide et d’adopter une technique adaptée pour éviter toute blessure. Mais il arrive que l’intervenant ne soit pas posté en centre de secours et qu’il doive le rejoindre sans se mettre en danger. L’effort de vigilance est encore plus important avec les aléas d’un trajet en sachant que chaque minute compte. Ainsi, une phase requérant une vigilance importante et des potentiels efforts physiques suit immédiatement le déclenchement et ce avant même de se diriger vers le lieu d’intervention.

L’intervention

L’intervention provoque différents facteurs de stress d’ordre psycho-émotifs pour l’ensemble des personnels mobilisés. Lorsqu’ils ont connaissance qu’ils se rendent vers un sinistre de grande ampleur, ce stress est d’autant plus important. Sur le trajet, le conducteur et le chef d’agrès doivent redoubler de vigilance afin de mobiliser leurs ressources. Il faut arriver dans les meilleurs délais sur les lieux, se positionner adéquatement, trouver un point d’eau le cas échéant, et cætera…

Une fois sur les lieux, les missions des sapeurs-pompiers varient. Il peut s’agir de lutte contre les incendies, d’accidents de la circulation, de secours à personne, d’accidents technologiques, d’opérations diverses… Les efforts physiques requis varient selon la nature de l’intervention, tout comme l’impact psychique sur les intervenants.

La perturbation des rythmes biologiques

Les interventions à toute heure, de jour comme de nuit, sont difficilement prévisibles. Cela peut perturber la chronobiologie, donc in fine dérégler les rythmes biologiques. Le plus important est le rythme circadien, c’est-à-dire l’horloge interne du corps humain. Il optimise l’organisme pour permettre les activités physiques et intellectuelles, le sommeil ou encore la digestion. Son non-respect est un facteur de stress et peut causer des troubles à long-terme.

Les autres facteurs de stress

Généralement, les problématiques de relations humaines sont les autres facteurs de stress. Nous pouvons les considérer comme un facteur de stress psychologique.

D’une part, les activités de sapeurs-pompiers peuvent avoir un impact sur la vie familiale. Nous étudierons cela juste après. D’autre part, le climat d’un centre d’incendie et de secours dépend fortement de la qualité des relations hiérarchiques y existant. Des rapports conflictuels favorisent des situations de tension et de mal-être. Au contraire, une bonne entente, dans le respect des prérogatives de chacun, facilite une ambiance agréable pour tous.

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Le stress aujourd’hui

L’étude menée par le Colonel MENGUAL en 1983 fait ressortir des sujets qui sont toujours d’actualité. Alors, quel est l’impact du quotidien, de l’exposition opérationnelle et de la réalité d’un sapeur-pompier aujourd’hui ?

Les exigences émotionnelles

Le sapeur-pompier, dans l’imaginaire collectif, a toujours eu une image héroïque, parfois fantasmée. Ce serait un Homme (avec le grand « H » de Humanité) fort sauvant des vies parfois au péril de la sienne ou portant secours en toutes circonstances et tous temps. Ainsi, il se doit d’être prêt physiquement et psychologiquement.

Le métier ou l’activité de sapeur-pompier nécessite une adaptation permanente face aux situations. L’intervenant doit toujours estimer les ressources disponibles pour contrôler la situation, tant que c’est possible. Le vécu des différentes interventions peut influer sur le bien-être psychologique du pompier, dont les émotions sont souvent mises à rude épreuve.

Il est fréquent d’observer, au sein des casernes, des stratégies plus ou moins conscientes. Discuter autour d’un café lors d’une pause ou pratiquer une activité physique collective sont des moments informels propices pour échanger autour des interventions. En verbalisant et partageant les ressentis, positifs comme négatifs, il est possible de réguler son niveau de vigilance. Néanmoins, nous avons pour beaucoup constaté ou vécu des comportements colériques, d’addictions, d’insomnie, de doutes…

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BSPP

La conciliation entre le travail et la famille

L’activité de sapeur-pompier demande une conciliation avec sa vie familiale. Les astreintes sont des moments où le niveau de vigilance est élevé et qui peuvent devenir des contraintes pour la famille. De plus, l’activité opérationnelle est en augmentation constante et les ressources humaines sont limitées. La sollicitation peut ainsi être de plus en plus importante pour les mêmes personnels.

A titre d’exemple, pour ceux qui ne l’auraient encore jamais vécu, imaginez un sapeur-pompier endormi dans son lit, chez lui. A 03h00, comme à plusieurs reprises au cours de la nuit, son récepteur individuel d’alerte peut se déclencher. Le bip réveillera alors, probablement, sa conjointe voire ses enfants. Outre la sensation désagréable d’un réveil en sursaut, ils peuvent s’inquiéter pour leur proche qu’ils savent partir vers une situation critique.

Sans parler d’être envoyé en intervention, nous pouvons citer l’officier de garde sur un secteur. Pendant qu’il se trouve peut-être en famille, il peut être alerté par un appel téléphonique d’un stationnaire. Averti d’un départ pour un motif important, il sera rappelé une dizaine de minutes plus tard, sans savoir s’il devra alors rejoindre ses hommes sur l’intervention ou s’il s’agissait finalement d’un sinistre bénin (ou inexistant). Comme le pompier mobilisé, il vit une situation qui peut impacter son bien-être psychologique et sa vie familiale.

« Un état d’épuisement physique, émotionnel et mental causé par une implication à long terme dans des situations émotionnellement exigeantes. »

Définition du syndrome d’épuisement professionnel par Ayala PINES

Comment gérer son stress ?

J’aborde cette gestion avec des méthodes pédagogiques, en lien avec les Techniques d’Optimisation du Potentiel (TOP®).

Optimiser son potentiel, SDIS77.
SDMIS

Les outils TOP®

Les TOP® sont une méthode intégrative qui va puiser dans différentes disciplines comme l’hypnose, le yoga, la sophrologie, la PNL, etc… Ces techniques s’adaptent dans n’importe quelle situation de manière simple. (lire l’article R18 à ce sujet)

Les TOP regroupent 24 outils basés sur la détente, la récupération, la régulation et la dynamisation.

La météo intérieure TOP®

À l’instant présent, il s’agit de prendre conscience d’où notre curseur mental et physique se situe.

Prendre conscience de son niveau d’activation permet ensuite de l’ajuster par des techniques de dynamisation, de détente ou de régulation. Tout est liée à nos pensées (changer de point de vue), nos émotions (multiplier les ressentis) et nos comportements (agir différemment).

Exemples de signes d’hyper-stress :

  • PENSÉES : « Je n’y arriverai pas », « Je n’en suis pas capable » ;
  • ÉMOTIONS : Respiration courte, transpiration, augmentation de la fréquence cardiaque ;
  • COMPORTEMENTS : agitation voire tremblement (= fuite), tension et regard fixe (= lutte), regard baissé et ralentissement psychomoteur (inhibition).
Optimiser son potentiel, André Pisani.

Exemple d’une séance

Relaxation Musculaire Directe (RMD) : technique de relaxation de base pour obtenir une décontraction musculaire, mentale et physique.

  • durée : 5 à 20 minutes
  • protocole : 
  1. phase préparatoire : installation, météo TOP®, exercices respiratoires de détente ;
  2. phase de travail : décontraction musculaire, prise de conscience des sensations de calme, utilisation d’images de détente ;
  3. reprise psycho-physiologique : réactivation musculaire et mentale.

Attention, une séance de technique d’optimisation du potentiel doit être encadrée par un formateur TOP®.


Et le stress dans les SIS en 2024 ?

Les SDIS 27, 59, 77, 78… ont développé une préparation mentale pour leurs agents. L’objectif pour eux est d’atteindre une meilleure mobilisation des ressources physiques, psychiques, cognitives et émotionnelles en vue d’une action, tout en protégeant leur santé. Cela passe notamment par le recours aux Techniques d’Optimisation du Potentiel (TOP®).

Le SDIS 27 a développé des techniques de préparation mentale sapeur-pompier par un livret accessible à tous (SPV, SPP et PATS) avec des séances audios de prévisualisation mentale, de régulation, de relaxation et des techniques de respiration.

L’objectif recherché est d’optimiser le potentiel de chacun dans sa VIE PROFESSIONNELLE et/ou PERSONNELLE.

SDIS 27
Optimiser son potentiel – SDIS 77

En conclusion

En 1983, Gilles MENGUAL concluait son mémoire par : « Tous les espoirs sont permis car nous pensons que l’étude du stress chez le sapeur-pompier ne fait que commencer… »

En 2024, je conclurai, à mon tour, en rajoutant que : « d’un point de vue opérationnel, sans adaptation émotionnelle face à une situation, notre esprit d’analyse et de décision n’est pas optimal et peut mettre en danger nous-même et notre entourage. »

Chaque sapeur-pompier doit ainsi participer au maintien de son capital santé personnellement et professionnellement. Notre bien-être est entre nos mains. Adoptons donc des stratégies et des outils pour bien-vivre. Cela permet également d’avoir l’énergie nécessaire pour prendre soin de ceux qui nous entourent et à augmenter notre capacité à amortir les impacts psychologiques.

Prendre soin de soi aujourd’hui, c’est se préserver pour demain.


La préparation mentale de l’inspecteur général Grégory ALLIONE

Sources et crédits

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