Les médailles associatives, quelle valeur leur prêter ?

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Disons le d’emblée, le thème abordé ici peut être considéré comme sensible chez les sapeurs-pompiers. En effet, nombreux sont ceux ( j’avoue, j’en ai fait partie ! ) n’hésitant pas à porter sur leurs tenues des médailles associatives aux côtés de médailles officielles. Ces décorés ignorent souvent si cet usage est justifié, ou bien ils sont persuadés que tel est le cas. Une forme de mimétisme et de confiance est possible pour l’expliquer, dès lors que cette pratique s’observe parmi les plus anciens et parmi les “chefs”. Cela a d’ailleurs été aussi mon cas…

Rappelons que les insignes officiels sont ceux qualifiés par le Code de la Légion d’Honneur comme ceux créés et attribués par l’État français ou par une puissance souveraine étrangère.


Nous allons donc répondre à une double question :

  • Les médailles associatives sont-elles des médailles comme les autres et donc comparables aux médailles officielles ?
  • Quelles règles de port s’appliquent ?

Et n’oublions pas :

Ce qui est affirmé sans preuve peut être nié sans preuve.

Euclide

Les Associations, un lien social indispensable !

Quand on parle d’associations, on pense tout de suite “loi de 1901” et  “but non lucratif”. Pierre Waldeck-Rousseau (1846- 1904), président du Conseil et ministre de l’Intérieur et des Cultes, est à l’origine de cette Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association. Il est donc contemporain du capitaine Charles-Auguste Michel (1843-1914), initiateur dès 1881 de ce qui deviendra la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France.

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Waldeck-Rousseau

Plusieurs types d’organisations composent le paysage associatif en France. Certaines sont reconnues d’intérêt général ou encore d’utilité publique. Des associations doivent être agréées par l’autorité publique pour exercer. On peut ainsi citer l’exemple des associations agréées de sécurité civile (A.A.S.C.), avec la possibilité d’exercer des missions en appui des pouvoirs publics (Code sécurité intérieure L 725-3).

Au-delà de la défense d’intérêts divers, ce sont les associations culturelles, de loisirs et sportives qui constituent le gros des troupes. Sur 1,5 millions d’associations actives en France mobilisant 22 millions de bénévoles,  près des deux tiers relèvent de ces secteurs (source : institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire).

Les associations jouent un rôle essentiel dans notre société : elles participent activement à la vie publique, défendent des causes et des intérêts, partagent des connaissances. Les progrès sociétaux doivent une part de leurs bénéfices aux associations. Elles contribuent véritablement à créer du lien social entre ses membres et avec les personnes extérieures. Les associations concernant les sapeurs -pompiers confirment les qualités décrites ci-dessus.


Une volonté légitime de reconnaître les mérites des membres ou de leurs bienfaiteurs

Les membres d’une association peuvent être des membres : 

  •  fondateurs (créateurs de l’association),
  • du bureau,
  • ordinaires (les adhérent),
  • bienfaiteurs : contributeurs financiers ou facilitateurs des actions,
  • honoraires : ayant rendu des services à l’association et ne versant plus de cotisations.

De façon très naturelle, les organisations associatives ont recherché les moyens d’honorer ces différents membres, voire des partenaires. Il s’agit aussi de récompenser leurs actions, ou encore d’acter une ancienneté au sein de l’association. On peut, par exemple, citer l’exemple d’unions départementales de sapeurs-pompiers honorant des durées d’engagement inférieures au premier seuil officiel lorsque ce dernier n’était que de vingt ans. Les unions régionales ont également créé des médailles. Il en est de même pour la fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (reconnaissance fédérale et médaille des musiques), et pour l’œuvre des pupilles.

médaille FNSPF
médaille FNSPF

Des associations ont ainsi entrepris de célébrer l’engagement citoyen, le dévouement, indépendamment de la reconnaissance éventuelle de l’État. C’est ainsi que certains ont fait le choix de décerner des médailles gravées, mais aussi des décorations s’épinglant sur les tenues (insigne plus ruban). On a pu voir apparaître des appellations proches de décorations officielles avec des échelons (bronze, argent, …) ou même des grades (chevalier, commandeur, …).   

Des institutions officielles et des associations ont créé des médailles sans ruban (qui ne se portent pas). Elles n’en constituent pas pour autant une moindre marque de reconnaissance pour les récipiendaires.

Médaille SDIS 73
Médaille SDIS 73
Médaille UDSP 45
Médaille UDSP 45

Complémentarité ou concurrence avec nos autorités ? Difficile parfois de faire la différence ! Rappelons aussi qu’une médaille d’honneur officielle récompense les membres des associations. En effet, depuis le décret n° 2013-1191 du 18 décembre 2013, la médaille connue sous le vocable
jeunesse et sport” s’est vue ajoutée la mention “et de l’engagement associatif“. Les engagements bénévoles en faveur de l’intérêt général sont clairement visés.

Alors, les médailles associatives sont-elles des médailles comme les autres ? Assurément non ! 

En effet, elles ne peuvent pas être assimilées aux marques de reconnaissance délivrées par l’État et par les différents ministères. Elles demeurent une façon louable et visible d’honorer des membres d’une association dans le cadre strict de son activité. Les confusions possibles avec les médailles officielles (apparence, appellations) sont d’ailleurs totalement proscrites. 

Mais alors, quelles seraient les bases réglementaires régissant le port des médailles associatives ? Seraient -elles les mêmes que pour les médailles officielles en intégrant les ordres de préséance ?


Existe-t-il des règles traitant des médailles associatives?

La citation “ l’histoire est un perpétuel recommencement. “’ est attribuée à l’historien grec Thucydide. Elle pourrait bien s’appliquer ici.

Retour en arrière au 19e siècle, plus précisément en 1858 (Pierre Waldeck-Rousseau et Charles-Auguste Michel étaient adolescents !). Charles-Marie-Esprit Espinasse, ministre de l’Intérieur et de la Sûreté générale signe une circulaire en forme de rappel à l’ordre à l’adresse des préfets. Les sapeurs-pompiers y sont cités comme des contrevenants potentiels…

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Charles Espinasse
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Un décret du 6 novembre 1920 réglementant le port des décorations précisait dans son article 8 : “Le port des insignes de distinction honorifiques créées et décernées par des sociétés ou les rubans ou rosettes qui les rappellent n’est autorisé que dans les réunions des membres de ces sociétés.

Le port d’une décoration est confirmé comme devant être « accroché sur le côté gauche de la poitrine“.

Nul doute que ce décret subissait une influence postérieure à la première guerre mondiale avec la volonté de faire la part entre les décorations officielles et … toutes les autres.

Une circulaire du 30 novembre 1970 (N° 49776/DN/CC/K), relative aux insignes de distinctions honorifiques créées et décernées par des sociétés, confirmait la restriction du port des dites distinctions aux seules réunions des membres des associations et l’interdiction de leur remise lors de cérémonies publiques. 

Le décret 81-1103 du 4 décembre 1981, jour de sainte Barbe pour les sapeurs-pompiers, a modifié le code de la Légion d’Honneur et de la Médaille militaire. Il prévoyait des sanctions pénales en cas de création ou de port de décorations présentant une ressemblance avec les décorations décernées par un État souverain. Il en est de même pour l’usage de grades ou de dignités présentant, eux aussi, une ressemblance avec ceux des États. 

Mais ce décret présente aussi une autre particularité : il abroge l’article 8 du décret du 6 novembre 1920 cité plus haut. Est ce que pour autant le port des médailles associatives serait autorisé sans restriction ? Il n’en n’est rien !

Pour preuve, la réponse à une question parlementaire sur le sujet (Question N° 27655 de M. Pierre Cordier / Les Républicains – Ardennes  / 15e législature). En voici la retranscription intégrale : 

Texte de la question : 

 M. Pierre Cordier appelle l’attention de Mme la secrétaire d’État, auprès de la ministre des armées, sur l’article 2 du décret n° 81-1103 du 4 décembre 1981, modifiant le code de la Légion d’Honneur et de la Médaille Militaire en ce qui concerne la création, la collation et le port de certaines décorations et grades honorifiques, publié au Journal Officiel du 17 décembre 1981 qui dispose que : « L’alinéa 3 de l’article R. 40 du code pénal ainsi que l’article 8 du décret du 6 novembre 1920 réglementant le port des décorations sont abrogés ».

Il souhaite avoir confirmation qu’une décoration associative française peut donc être portée – du moment qu’elle ne ressemble à aucune décoration officielle française ou étrangère – aussi bien dans l’espace privé que dans l’espace public, et que leur port n’est aucunement limité aux cérémonies internes aux associations

Texte de la réponse :  

Les articles R. 214 et suivants du code de la Légion d’Honneur, de la Médaille Militaire et de l’Ordre National du Mérite, interdisent sous peine de contraventions la création ou la collation par des personnes physiques ou morales privées ou par des personnes morales publiques autres que l’État, de décorations ou insignes de distinctions honorifiques ainsi que de grades ou de dignités, présentant une ressemblance avec des décorations ou insignes, grades ou dignités, conférés par l’État français ou par une puissance étrangère souveraine.

Il est également impératif d’observer une stricte observation des règles de préséance entre les décorations officielles et celles relevant d’une attribution à titre privé, notamment par les associations. En ce qui concerne le port des décorations officielles, il est rappelé que la règle fixée à l’article 1er du décret du 10 mars 1891 portant réglementation du port des décorations et médailles françaises et étrangères prévoit que les décorations et médailles françaises et étrangères se portent sur le côté gauche.

Le port des décorations non officielles doit être limité aux réunions des membres des associations ou sociétés qui les ont décernées. Ces décorations ne peuvent de surcroît pas être remises lors des manifestations publiques et ne peuvent pas être acceptées par des représentants civils et militaires, conformément à la circulaire n° 49776/DN/CC/K du 30 novembre 1970 relative aux insignes de distinctions honorifiques créées et décernées par des sociétés. Il est toutefois admis l’usage de porter ces différents décorations et insignes sur le côté droit de l’uniforme, du costume ou du vêtement, lorsqu’il revêt une importance symbolique pour ses membres afin de ne pas créer, dans l’esprit du public, de confusion avec les décorations officielles.

Enfin, les décorations non officielles n’ont pas de rang dans l’ordre protocolaire qui les en exclut de façon à préserver tout le prestige des décorations officielles françaises et étrangères.


L’avis de la grande chancellerie de la Légion d’Honneur

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Grande chancellerie de la légion d’honneur. Paris

Enfin, afin de se forger une opinion fiable, quoi de plus naturel que de se référer à la grande chancellerie de la Légion d’Honneur. En effet, au-delà de la gouvernance propre de la Légion d’Honneur, de la Médaille Militaire, de l’Ordre National du Mérite et de la Médaille nationale de reconnaissance aux victimes du terrorisme, le grand chancelier est chargé de veiller à la cohérence du système français des décorations.

Ainsi, dans le domaine :

  • Il examine les modifications éventuelles d’attribution d’une décoration officielle,
  • Il est consulté lors de la création d’une nouvelle distinction,
  • Il accorde les autorisations de port des décorations étrangères.

On trouve ainsi, par exemple, une des réponses officielles régulièrement produites. Elle s’adresse en 2015 à une association d’anciens combattants :

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Un rappel en ce sens a été également fait en 2018 par le gouverneur militaire de Paris, à l’intention des porte-drapeaux associatifs participants aux cérémonies.

On notera que les détenteurs d’un ordre national (Légion d’Honneur, Médaille Militaire, ONM) sont passibles de sanctions disciplinaires avec une notion claire de manquement à l’honneur.

Afin de rédiger le présent article et d’éliminer toutes formes de doute, Rescue18 a sollicité la grande chancellerie sur ce sujet du port des médailles associatives. La réponse apportée est sans ambiguïté. Elle émane du chef du bureau de la gestion des décorations françaises et étrangères, je cite : 

Voici les règles relatives aux médailles associatives, telles qu’elles résultent des dispositions réglementaires.

Conformément à l’article R.214 du code de la Légion d’Honneur, de la Médaille Militaire et de l’Ordre National du Mérite : la création et le port de décorations ou insignes, autres que ceux créés et attribués par l’Etat français ou par une puissance souveraine étrangère sont interdits. Il résulte de ce texte réglementaire que toute médaille associative est interdite et que le port d’un tel insigne fait encourir les sanctions prévues à l’article R.215 du code précité.

Toutefois, seul le port public étant réprimé, les insignes associatifs sont tolérés dans un cadre privé, limité aux seules activités à l’intérieur de l’association et dans le respect des règles suivantes :

– Ces insignes associatifs ne doivent pas être portés avec les décorations officielles ;

– Ils ne peuvent être portés sur le côté gauche de la poitrine ;

– Aucune confusion ou ambiguïté ne doit exister sur leur caractère purement associatif ;

– Ils ne peuvent être portés lors des remises de décorations officielles, ni lors des cérémonies publiques patriotiques.


En conclusion et en résumé

Les errements constatés dans le respect des règles du port des médailles associatives sont souvent le fait de méconnaissance, de mimétisme, de confiance envers des supérieurs.

Il existe parfois aussi un affichage complaisant laissant penser que les règles seraient connues mais qu’il existerait une tolérance, affirmation totalement fausse.

Alors on résume les principaux points à connaître : 

  • Les médailles attribuées par les associations constituent une reconnaissance vertueuse de leurs membres et partenaires,
  • Elles ne peuvent avoir une apparence ou une appellation rappelant celles des décorations officielles,
  • Elles ne peuvent être remises lors de cérémonies officielles (au sens du décret modifié n°89-655 du 13 septembre 1989 relatif aux cérémonies publiques, préséances, honneurs civils et militaires = “ Les cérémonies publiques sont les cérémonies organisées sur ordre du Gouvernement ou à l’initiative d’une autorité publique.”),
  • Leur port aux côtés de médailles officielles est strictement interdit et se limite aux seules réunions des associations concernées,
  • Contrevenir à ces aspects peut entraîner des sanctions pénales ou disciplinaires.

L’un des nôtres avait traité avec rigueur ces thématiques. Je veux parler du commandant Bruno Kohlhuber (SDIS 06), mort en service commandé en octobre 2020 lors de la tempête Alexia. Il avait produit un mémoire de Master 2 Droit et management publics des collectivités territoriales ayant pour titre “Les distinctions honorifiques sont-elles de véritables outils de reconnaissance à l’usage des sapeurs-pompiers ? “.

Je dédie respectueusement et sincèrement cet article à sa mémoire, en concluant avec une citation d’Albert Einstein que Bruno avait retenue en introduction de son document :

“  La valeur d’un homme tient dans sa capacité à donner et non dans sa capacité à recevoir. “

Crédits photos :

Titre article : Bordeaux exposition maritime 1907 Gorce (Talence) / public domain

Portrait Waldeck Rousseau : Bibliothèque nationale de France / public domain

Médailles FNSPF, SDIS 73, UDSP 45 : photos de l’auteur

Portrait Espinasse : musée d’Orsay / public domain

Image Grande chancellerie de la légion d’honneur : Marc baronnet / Commons creative

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