Dans un premier article consacré à l’entretien d’évaluation professionnelle, Rescue 18 en a présenté les principes et les enjeux. Dans cette seconde partie, nous détaillons les étapes de préparation et de rédaction, tout en partageant des bonnes pratiques pour en faire un véritable outil de progression.
Le cadre juridique et ses objectifs
L’entretien d’évaluation professionnelle des sapeurs-pompiers s’inscrit dans le cadre général de la fonction publique territoriale (FPT). Il est obligatoire pour les fonctionnaires titulaires comme pour les agents contractuels, selon des textes précis :
- Code général de la fonction publique (CGFP), articles L521-1 à L521-5 : il impose l’appréciation annuelle de la valeur professionnelle de chaque agent territorial, afin de garantir l’objectivité et l’égalité de traitement ;
- Décret n°2014-1526 du 16 décembre 2014 : il fixe les modalités pour les fonctionnaires titulaires ;
- Décret n°88-145 du 15 février 1988 (articles 1-2 et 1-3) : il encadre l’entretien pour les agents contractuels de la FPT.
Ces textes rappellent que l’entretien professionnel n’est pas une simple formalité administrative : c’est un outil managérial structuré au service d’une gestion qualitative des ressources humaines.
Ses objectifs principaux sont clairement définis :
- Apprécier la valeur professionnelle d’un fonctionnaire en se fondant sur une évaluation individuelle donnant lieu à un compte rendu qui lui est communiqué (Art L521-1 du CGFP). L’entretien et le compte rendu sont établis par le supérieur hiérarchique direct (Art 2 Décret n° 2014-1526) ;
- Fixer des objectifs pour l’année suivante, adaptés aux missions et aux enjeux du service (Art 3 Décret n° 2014-1526) ;
- Identifier les besoins en formation pour accompagner la montée en compétences (Art 3 Décret n° 2014-1526) ;
- Être informé sur l’ouverture et l’utilisation de ses droits afférents au compte personnel de formation (Art L521-4 du CGFP) ;
- Faciliter le dialogue entre le supérieur hiérarchique et l’agent, en favorisant un climat de confiance et de reconnaissance ;
- Écouter l’agent qui est invité à formuler ses observations et propositions sur l’évolution du poste et le fonctionnement du service (Art 3 Décret n° 2014-1526).
L’entretien professionnel vise donc à articuler exigences du service et développement professionnel des agents. Respecter ce cadre réglementaire, c’est garantir l’équité, la transparence et la cohérence des pratiques managériales. Pour les officiers, il s’agit de transformer cette obligation légale en un moment véritablement constructif, au service du collectif comme des individus.
Les étapes obligatoires de l’entretien
L’entretien d’évaluation professionnelle obéit à des étapes formalisées et balisées par les textes réglementaires.
Convocation et processus administratif
La date de l’entretien est fixée par le supérieur hiérarchique direct en fonction, notamment, du calendrier de la commission administrative paritaire dont relève l’agent évalué (Art 2. Décret n° 2014-1526).
Les modalités d’organisation de l’entretien professionnel sont les suivantes (Art 6. Décret n° 2014-1526) :
- Le fonctionnaire est convoqué huit jours au moins avant la date de l’entretien par le supérieur hiérarchique direct ;
- La convocation est accompagnée de la fiche de poste de l’intéressé et d’un exemplaire de la fiche d’entretien professionnel servant de base au compte rendu ;
- Le compte rendu porte sur les thèmes prévus à l’article 3 ainsi que sur l’ensemble.
Des autres thèmes qui, le cas échéant, ont été abordés au cours de l’entretien à savoir :
- Les résultats professionnels obtenus par l’agent et la réalisation des objectifs ;
- Les compétences professionnelles et techniques ;
- Les qualités relationnelles ;
- La capacité d’encadrement ou d’expertise ou, le cas échéant, à exercer des fonctions d’un niveau supérieur ;
- Dans un délai maximum de quinze jours, le compte rendu est notifié au fonctionnaire qui, le cas échéant, le complète par ses observations sur la conduite de l’entretien ou les différents sujets sur lesquels il a porté, le signe pour attester qu’il en a pris connaissance et le renvoie à son supérieur hiérarchique direct ;
- Le compte rendu, complété, le cas échéant, des observations de l’agent, est visé par l’autorité territoriale ;
- Le compte rendu est versé au dossier du fonctionnaire par l’autorité territoriale et communiqué à l’agent.
Déroulement de l’entretien
L’évaluateur est désormais celui qui va animer l’entretien à proprement parler. Il en est de sa responsabilité. Il peut être tentant de laisser la parole à la personne évaluée pour connaître son sentiment, voire sa capacité d’auto-évaluation. Pourquoi pas, mais dans un second temps. Même si cela part d’une bonne intention, il s’agit plus d’un alibi. L’évaluateur doit à ce moment précis évaluer personnellement et non déléguer. Chacun son rôle dans cet instant où la hiérarchie est on ne peut plus marquée. On n’échange par exemple pas sa chaise et son côté du bureau. Assumer.
L’évalué est d’ailleurs plus enclin à stresser qu’à être complètement détendu. En effet, les enjeux et les conséquences sont à 90% pour lui. Le mieux pour poser un cadre respectueux et de commencer par veiller à ce que le collègue soit bien installé, pour commencer, et à nous assurer qu’il est bien disponible mentalement pour cet entretien. Ensuite il convient d’expliquer le déroulement de l’entretien (combien de temps, structure du compte rendu, recours possible,etc..). Expliquer.
Entrons dans le vif du sujet. Comme on lit la règle du jeu avant de jouer, il est souhaitable de rappeler à la fois les missions habituelles confiées dans la fiche de poste et ensuite les objectifs spécifiques fixés l’année précédente s’il y en a. Il est intéressant de se rappeler que bon nombre de nos missions quotidiennes sont formalisées dans la fiche de poste et non en objectifs spécifiques. Cadrer.
Viens la partie la plus importante et sensible : Évaluer.
Vous ne devez pas tourner autour du pot. Plusieurs méthodes existent. Vous pouvez par exemple répartir vos retours en catégorisant ce qui va bien, ce qui devrait être amélioré et ce qu’il faut absolument corriger. J’attire votre attention sur 3 points :
- Ce qui doit être amélioré ou absolument corrigé ne peut pas et ne doit pas être une découverte pour l’évalué ce jour-là. Votre rôle de manager est d’avoir posé des jalons dans le courant de l’année. L’entretien sert à les formaliser si les remarques n’ont pas été prises en compte ;
- Ce jugement que vous porterez doit au préalable avoir fait l’objet d’un retour des autres cadres (par exemple les sous officiers s’il s’agit d’un HDR) afin d’être enrichi de leurs perspectives. Vous avez beau aller dans la remise, vous n’y êtes pas au quotidien. Idem pour le terrain ;
- Chaque point qui doit être amélioré doit être illustré d’exemples précis et factuels. Il doivent décrire ce qui a été observé et mesuré (voir objectifs SMART).
Une autre méthode, la rétrospective, répartit les retours en 5 catégories : ce qu’il faut arrêter, ralentir, garder, augmenter et commencer.
C’est maintenant le moment d’arrêter de parler et d’écouter. Les points d’accord sont faciles. Les points de désaccord nécessitent une écoute active et empathique. Il faut à ce moment là écouter pour comprendre et surtout pas pour répondre. Taisez-vous en somme et essayez de comprendre le point de vue de votre collègue. Son éclairage vous permet d’avoir des éléments complémentaires pour adapter votre avis ou le conforter. Dans tous les cas, il est nécessaire tant sur la forme que sur le fond.
La partie évaluation étant terminée, il reste à fixer les objectifs spécifiques annuels en plus des missions déjà décrites dans la fiche de poste. La technique SMART est probablement la plus simple pour mettre tout le monde d’accord. Chaque objectif fixé doit être :
- Spécifique
- Mesurable
- Acceptable
- Réaliste
- Temporellement défini
Prenez le temps d’identifier les difficultés que l’agent pourrait avoir déjà identifiées et proposez des solutions ou des alternatives. Plus vous serez d’accord sur le cadre fixant les objectifs et plus leurs évaluations l’année suivante sera facilitée.
Le compte rendu
Bien souvent un document type existe au sein de votre collectif. Le compte rendu doit permettre de passer en revue les points précédemment évoqués. En règle générale, les comptes rendus sont un mélange dans des proportions variées de cases à cocher, voire de points à attribuer, et d’appréciations littéraires à rédiger.
C’est cette dernière qui est souvent la plus appréciée des agents. Les cases et chiffres sont souvent moins bien vécues et moins crédibles pour plusieurs raisons. Tout d’abord, cela enferme “dans une case” et ce n’est jamais bon. Ensuite, plusieurs facteurs d’influence biaisent ce procédé.
Pour rester crédible, les officiers ont tendance à limiter les notes et cases trop positives. Dommage quand votre collectif est particulièrement bon. Encore plus si c’est le fruit des efforts des dernières années qui ont payé. Je pense que ces procédés sont surtout faits pour éviter de trop se mouiller en réalité.
Enfin, je vous laisse réfléchir à la réponse à apporter au collègue qui vous demandera ce qu’il doit faire concrètement et précisément l’année prochaine pour avoir le score maximal. Bon courage.
Quoi qu’il en soit, l’entretien se conclut par un compte rendu écrit, qui formalise les échanges, les objectifs fixés, la manière de servir et les perspectives d’évolution.
Signature et transmission
Le compte rendu est signé par l’évaluateur et l’agent, qui peut formuler des observations. Il est ensuite transmis dans les délais réglementaires et intégré au dossier individuel.
L’autorité territoriale peut être saisie par le fonctionnaire d’une demande de révision du compte rendu de l’entretien professionnel. Cette demande de révision est exercée dans un délai de quinze jours francs suivant la notification au fonctionnaire du compte rendu de l’entretien. L’autorité territoriale notifie sa réponse dans un délai de quinze jours à compter de la date de réception de la demande de révision du compte rendu de l’entretien professionnel (Art 7. Décret n° 2014-1526).
Ces étapes ne sont pas des formalités administratives vides : elles tentent de garantir la transparence, la traçabilité et l’équité du processus. Pour l’officier évaluateur, respecter ce formalisme est un gage de professionnalisme, mais c’est aussi l’occasion de transformer cet acte réglementaire en véritable levier managérial, en favorisant la motivation et l’adhésion de chaque agent.

Conseils pratiques
Préparez sérieusement l’entretien
- Relire la fiche de poste et les objectifs fixés l’an dernier ;
- Rassembler des faits concrets, positifs et négatifs ;
- Éviter les jugements vagues ou subjectifs.
Instaurez un climat d’écoute et de respect
- Pratiquer l’écoute active : reformuler, questionner ;
- Partager (vraiment) le temps de parole ;
- Transformer l’entretien en véritable dialogue.
Donnez des retours qualitatifs
- Valoriser les réussites de manière explicite ;
- Identifier des axes de progrès réalistes et motivants ;
- Équilibrer les 2 points précédents. Comment motiver si 80% de ce que vous dites concernent ce qui ne vous convient pas ?
Soignez le compte rendu écrit
- Fidélité aux échanges : pas de phrases toutes faites ;
- Mentionner les succès marquants et les besoins d’évolution ;
- Respecter la clarté et la lisibilité pour l’agent.
Garantissez l’équité au sein du collectif
- Aligner les appréciations pour des missions comparables ;
- Éviter toute disparité de traitement injustifiée ;
- Assumer ce que vous écrivez comme si vous alliez l’afficher au foyer (les collègues parlent entre eux. Si si !).
Soyez fairplay
- Demandez à votre tour à votre collègue ce que vous faites bien et ce que vous pourriez améliorer. Vous verrez c’est très instructif et c’est responsabilisant.
Conclusion : un outil au service de la qualité managériale
L’entretien d’évaluation professionnelle n’est pas une simple formalité administrative. C’est un acte managérial essentiel qui vous engage humainement et qui engage le service réglementairement. Il s’agit donc de le réussir sur ces deux tableaux.
Respecter le cadre réglementaire, c’est garantir l’équité des agents voulue par le législateur et assurer à l’institution votre loyauté. Respecter le collègue que vous évaluez, c’est prendre votre place de chef et d’Homme.
Pour l’officier évaluateur, c’est l’occasion de montrer l’exemple : préparer avec sérieux, écouter sincèrement, formuler des attentes précises et encourager sans complaisance. Bien mené, l’entretien ne se limite pas à juger le passé : il ouvre la voie vers l’avenir. Il révèle les talents, détecte les besoins en formation et renforce la motivation. Il participe à construire la confiance individuelle et collective, indispensable au bon fonctionnement d’un service opérationnel.
L’entretien d’évaluation professionnelle c’est sans doute donner une place à chacun, lui exprimer qu’il compte et qu’il a de la valeur. C’est sans doute lui témoigner qu’il y a un chemin à parcourir en tant que personne, pas un contrôle technique à passer.
Crédits et sources : Gemini (image IA d’illustration) / Pexel / CGFP / LégiFrance








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