Lorsque j’évoque généralement ici des marques de reconnaissance, il est souvent question de médailles. Mais être « reconnu », c’est aussi plus généralement être « identifié ». La signalétique des engins de secours rentre dans ce cadre et répond à une double exigence :
- Être vu pour des raisons de sécurité ;
- Être reconnu en ses fonctions et qualités ;
Comme dans le domaine de la communication par exemple, pour être reconnu, il faut être visible. Un parallèle peut aussi être fait avec la notion de « marque », à la fois identité visuelle d’une organisation et valeur affichée.
Les mots et les logos contribuent à cette reconnaissance, mais les formes et les couleurs interviennent également pour beaucoup. Si vous êtes observateur, vous avez certainement remarqué une nouvelle forme de balisage latéral sur les véhicules des services d’incendie et de secours. Cette signalétique, dénommée « Battenberg », se compose d’une alternance de carrés ou de rectangles rouges et jaunes, répartis généralement sur deux lignes.
Pourquoi ce motif chromatique et dans quel but ? Pourquoi cette appellation ? Rescue18 répond à ces interrogations.
Le balisage des véhicules d’incendie et de secours français
La nécessité d’améliorer la visibilité sur la voie publique des engins de secours a fait l’objet, au fil du temps, d’une véritable prise de conscience, tant de la part des utilisateurs que de celle des responsables des réglementations. Les évolutions dans ce domaine ont également été marquées par des accidents qui ont malheureusement endeuillé les sapeurs-pompiers.
Afin de renforcer la signalisation lumineuse (gyrophares, rampes), de nouvelles approches ont été déployées, souvent issues d’initiatives de terrain. Elles se sont basées sur l’utilisation de nouvelles couleurs de carrosseries (orange fluo, jaune, …), sur des contrastes entre différentes couleurs, et sur l’utilisation rendue possible, au gré de nouvelles technologies, de films adhésifs réfléchissant la lumière.
C’est ainsi que l’on a vu apparaître :
- Des pare-chocs blancs, puis jaunes.
- Des pavillons blancs (toits carrosseries) ;
- Du balisage avant et arrière sous forme de chevrons rouges (ou oranges) et blancs, puis jaunes et rouges, avec des surfaces couvertes croissantes ;
- Du balisage latéral avec une seule ligne jaune rétro-réfléchissante, puis avec un silhouettage du contour du véhicule avec le même produit ;
- Du balisage latéral dit « Battenberg » ;
La réglementation a suivi et confirmé ces évolutions, à l’exception pour le moment du « Battenberg ».
Citons pour mémoire :
- l’Arrêté du 20 janvier 1987, modifié en avril 2006, relatif à la signalisation complémentaire des véhicules d’intervention urgente et des véhicules à progression lente.
- la Note d’Information Technique (« NIT ») numéro 273 de 1995, révisée en 2006.
- La norme (lien) NF S61-503 du 04-Avril 2011, « « Véhicules des services de secours et de lutte contre l’incendie – Signalisation complémentaire ».
Evolution au gré des textes pour un VSAV
Balisage incluant les stabilisateurs des moyens élévateurs aériens
Au final, le rouge « pompier » a résisté, en s’accommodant d’ajouts. Son abandon avait en effet été évoqué, en 2004, dans le rapport sur la sécurité des sapeurs-pompiers en intervention, dit « rapport Pourny ». L’auteur affirmait qu’il était « en passe d’être interdit pour cause de concentration de Plomb », et recommandait une couleur à dominante jaune. Une photo issue du rapport, et provenant du SDIS 26, montre un FPT avec un balisage « Battenberg ».
Alors, quid de ce balisage latéral à damiers ?
Le damier, une approche visuelle bien particulière
Définis comme une surface divisée en carrés (ou en rectangles) contigus alternés, les damiers sont omniprésents dans de nombreux domaines, dès lors que l’on souhaite attirer le regard ou l’attention. Ils sont réputés pour leur VISIBILITÉ.
La créativité artistique de l’homme pour composer ce type de figures géométriques est ancienne. Le motif a par exemple été identifié sur des poteries en Mésopotamie, ou encore sur une boîte à papyrus égyptienne, exposée au musée du Louvre et datée de 1400 avant J.C.(image ci-contre).
Au passage, si vous voulez savoir comment sont protégées les œuvres d’art, Rescue18 vous en parle ici.
Notons que, comme pour le cinéma ou la télévision, le noir et blanc a souvent dominé avant l’adjonction de couleurs. Nous verrons que cela a été aussi le cas pour le balisage des véhicules mais avant, passons en revue les nombreux domaines investis par les damiers :
Le jeu :
Les 64 cases noires et blanches de l’échiquier et celles du jeu de « dames » (parfois au nombre de 100 pour ce dernier).
Le textile :
Le tissage est, en lui-même, un type de damier car il est constitué par un entrecroisement de fibres. Des motifs sont très connus comme le fameux tissu « Vichy », popularisé par l’actrice Brigitte Bardot dans les années 50/60. Il a aussi investi le packaging de l’agroalimentaire (version fromage ou saucisson !).
Le motif à damier inspirera aussi des maillots d’équipes sportives. Citons :
Celui porté par Bernard Thévenet au sein de l’équipe de cyclisme Peugeot – Michelin.
Les maillots des équipes de rugby de Bègles (bleu/blanc) et de Valence-Romans (noir/blanc)
Et bien sûr, quelques casaques de jockeys, …
On peut même voir du Vichy agroalimentaire sur le tour de France !!!
La vexillologie : (étude des drapeaux et pavillons)
Si on excepte des drapeaux provinciaux (comme le Brabant néerlandais), peu de pavillons nationaux arborent un damier. Citons dans l’ordre : la Croatie, la République dominicaine, et le Panama.
Enfin, deux drapeaux à damiers bien connus :
- Celui, noir et blanc, utilisé pour indiquer la fin des courses de sports mécaniques.
- Celui, noir et jaune, qui indiquait un risque d’avalanche (niveaux 3 et 4 / risque marqué). Ce dernier est remplacé depuis 2017 par des pictogrammes conformes à la norme française AC S 52 092. On y retrouve cependant un damier noir et rouge pour le risque le plus sévère !
Les courants culturels musicaux :
Le plus connu pourrait être celui du « SKA », au rythme saccadé, né en Jamaïque à la fin des années 50, précurseur du reggae. Il a été rendu célèbre par des groupes des années 80 comme Madness, the Specials, the Selecters.
La marque de reconnaissance est un damier noir et blanc, symbole de l’unité et de la mixité des membres des groupes musicaux. On la retrouve sur les tenues des fans, chapeaux compris !
Après cette énumération non exhaustive de l’influence des damiers, il est temps de revenir aux origines du marquage « Battenberg ». Pour cela, faisons un pas en arrière jusqu’en 1932 (« One step beyond »).
Le balisage dit « BATTENBERG »
En 1932, Sir Percy Sillitoe, Chef de la Police de la ville de Glasgow, souhaite que l’uniforme des policiers soit bien reconnu parmi d’autres corporations. Il adopte pour cela un damier noir et blanc présent de façon traditionnelle en Ecosse, et qualifié, comme le tissu des kilts, de « tartan ». Le damier est présent en héraldique sur certains blasons, et celui-ci représentait la famille Stewart. On le retrouve sur les bonnets (« glengarries ») des régiments des Highlands (avec, parfois, ajout de la couleur rouge).
Il deviendra le symbole de la police écossaise et il s’est ensuite répandu dans de nombreux pays étrangers, essentiellement anglophones, à l’exception du continent américain où il est plus rare. L’Union européenne a adopté le motif à damier noir et blanc comme symbole universel de la police en Europe.
Ce motif sera parfois utilisé également pour identifier une chaîne de commandement ou une fonction particulière (chasubles, poste de commandement, …).
Les motifs ornant les uniformes et certains véhicules vont évoluer au Royaume-Uni, au milieu des années 90. Les damiers d’origine sont agrandis, enrichis avec d’autres couleurs devenues réfléchissantes. Une sérigraphie originale est ainsi créée avec un but affiché, celui d’être visible pour plusieurs raisons : sécurité des équipes, prévention des collisions, effet dissuasif, uniformisation des marquages par types de services d’urgence.
Le « Battenberg » était né !
Un rapport entre Scotland Yard et la police écossaise ? Non, le siège de la police londonienne tient son nom de la rue où il se trouvait à l’origine.
Pour les sapeurs-pompiers français, depuis 2015, le seul effet vestimentaire doté d’un damier (mais en option !) est le gilet haute visibilité de l’officier sécurité.
Certains ont pris quelques libertés avec le référentiel technique en remplaçant le damier jaune et rouge par d’autres couleurs.
D’un point de vue technique, ce balisage joue sur le contraste entre une couleur claire et une couleur foncée pour augmenter la visibilité, de jour comme de nuit (objectif = 500 m). Le motif comporte généralement deux rangées de rectangles alternés. L’avant et l’arrière des véhicules sont toujours traités avec des chevrons à haute visibilité.
En clair, le « Sillitoe tartan » d’origine est constitué de carreaux de petite taille, essentiellement blancs et noirs (ou bleus) et identifient un service, une institution.
Le « Battenberg » comporte des carrés ou rectangles de plus grande dimension (jusqu’à 500 à 600 mm), améliore la visibilité des véhicules et identifie également les services par un code couleur (voir la dernière partie de l’article).
Et cela ne concerne pas seulement pour les vecteurs terrestres !
Pour bien assimiler ces notions, regardez le clip de la Police écossaise, avec du « Sillitoe » et du « Battenberg » à foison !
Pourquoi ce nom de « Battenberg » ?
C’est un nom débutant par une majuscule car il s’agit d’un nom de famille, celui d’une famille aristocratique allemande. Alliée à la famille royale britannique, la branche correspondante changera le nom de « Battenberg » en « Mountbatten ». Un de leurs représentants, parmi les plus connus, est certainement le prince Philip, décédé le 9 avril 2021. Il était fils de la princesse Alice de Battenberg et l’époux de la reine Elizabeth II.
Mais alors quel rapport entre le balisage des véhicules de secours et cette famille ? Le lien est très indirect et on le trouve en fait dans le domaine de … la pâtisserie !
En effet, un gâteau fut créé spécialement par des cuisiniers pour célébrer en 1884 le mariage de Victoria de Hesse-Darmstadt avec le Prince Louis Alexandre de Battenberg, qui deviendra Louis Mountbatten (grand-père maternel du prince Philip). Ce gâteau, appelé parfois également « cake Battenberg », est une pâtisserie à base de génoise, enduite de pâte d’amandes. La tranche montre un damier de quatre carreaux roses et jaunes.
C’est donc à cette similitude de damier bicolore que notre balisage doit son nom !
Et si cette lecture vous donne faim et que vous vous sentez une âme de pâtissier, la recette est par ici.
Pour l’anecdote le patronyme de la famille princière « Battenberg » est lié à la ville allemande du même nom, située dans le land de Hesse.
Elle est défendue par un corps local de sapeurs-pompiers volontaires. Ils disposent notamment de deux engins-pompes et d’un fourgon logistique qui, comble de la signalétique, ne possèdent pas de balisage en damiers …
Des couleurs pour chaque service, chaque service avec ses couleurs !
Même s’ils ne font pas l’objet d’une norme internationale, les services concernés de différents pays ayant adopté le balisage « Battenberg » semblent respecter des codes couleurs uniformes, ou plutôt des codes bicolores. Cette uniformité s’applique d’ailleurs quelle que soit la couleur de la carrosserie choisie. C’est ainsi qu’un fourgon d’incendie blanc revêtira un damier jaune et rouge !
Enfin, le marquage n’est pas exclusif des services d’urgence. Les voici pour l’essentiel :
Police
Jaune / Bleu
Services d’incendie et de secours
Jaune / Rouge
Unités de commandement incendie secours
Blanc / Rouge
Services médicaux d’urgence et ambulances
Jaune / vert
Et aussi, dans certains pays :
Protection civile Bleu / Orange
Secours en montagne Blanc / Orange
Croix-Rouge Rouge / Bleu ou Orange / Jaune
Sang et transplantation Jaune / Orange
Entretien des routes Bleu / Orange ou Jaune / Noir
Gardes-côtes Jaune / Bleu Marine
Services autoroutiers Jaune / Noir
Services ferroviaires Bleu / Orange
Taxis Jaune / Noir
On peut alors se poser une question : un code couleur pour le service ou pour le type d’engin ?
Ainsi, quid du VSAV des sapeurs-pompiers, ambulance au sens de la norme EN 1789 ? Damier jaune et rouge ou bien jaune et vert ?
Si l’on se réfère aux quelques réalisations pour les sapeurs-pompiers français, mais surtout à celles plus anciennes comme « Dublin Fire Brigade », c’est bien le service qui est visé. Le damier jaune et vert concerne donc les services uniquement dédiés au transport et au traitement des patients.
Voyez l’argumentaire de Tony, pompier de Dublin (à partir de 1’10) : « Nous faisons les mêmes choses que les ambulanciers (jaunes et verts) mais nous sommes en jaune et rouge parce-que nous sommes les « pompiers » et nous devons garder ça ! ».
Vous devriez désormais être capable de décrypter les codes couleurs les plus répandus en mode « Battenberg ». Je vous laisse donc le soin de juger du caractère atypique de cet engin !
Vous l‘aurez compris, le marquage « Battenberg » contribue à améliorer la sécurité des intervenants et des usagers. Il identifie aussi la nature des services concernés.
Si sa prise en compte demeure balbutiante en France, elle mériterait que des initiatives locales, issues d’un benchmark international, soient relayées et encadrées au niveau central. Tout comme l’arrêté du 8 avril 2015 fixant l’habillement des sapeurs-pompiers indique que « pour manifester leur unité au niveau national, …, la tenue revêtue doit être similaire pour tous les personnels, quelle que soit l’unité opérationnelle », une sérigraphie uniformisée des véhicules contribuerait également à cette unité.
Cette évolution potentielle pourrait également intégrer utilement celle relative à la signalisation sonore et lumineuse.
Adoptons les damiers « Battenberg » pour ne pas faire échec à la sécurité de tous, mais aussi pour ne pas se faire damer le pion par d’autres services qui pourraient s’avérer plus proactifs !